La Russie éjectée du Caucase du sud?
Rien ne va plus entre la Russie et l’Azerbaïdjan
On a vu ces dernières semaines les relations entre les deux pays se détériorer à un point jamais atteint depuis l’implosion de l’URSS en 1991.
Et cette dégradation des relations s’inscrit dans un effort diplomatique entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Turquie et peut-être les Etats-Unis
pour régler une fois pour toute la rivalité entre Bakou et Erevan et exclure la Russie du jeu dans cette partie du Caucase du sud.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on regarde comment les petits évènements s’inscrivent dans les grandes tendances, je ne vais pas dire comment les petites histoires s’inscrivent dans la grande histoire mais vous comprenez l’idée.
Parce que c’est ça qui se passe dans le Caucase du sud entre l’Azerbaïdjan et la Russie.
Les petits évènements, c’est une détérioration constante des relations entre Bakou et Moscou.
On remonte à décembre 2024, quand la DCA russe a tiré sur un avion de ligne azerbadjanais qui a dérivé au-dessus de la mer Caspienne avant de s’écraser de l’autre côté, au Kazakhstan.
38 des 67 passagers et membres d’équipage sont morts.
La Russie a d’abord nié toute implication, en mettant en scène des théories farfelues
et dans dix jours, nous commémorerons les 11 ans de l’attaque sur le MH17 au-dessus de l’Ukraine donc ce qui s’est passé avec l’Azerbaïdjan n’est pas surprenant, il y a une longue tradition.
A Bakou, le président, le très autoritaire Ilyam Alyiev n’a pas lâché l’affaire et a exigé des excuses et que la Russie prenne ses responsabilités en indemnisant les familles de victimes
Vladimir Poutine a effectivement présenté ses excuses mais n’a pas assumé une quelconque responsabilité de ses forces armées. Evidemment il n’a indemnisé personne.
Et Ilyam Aliyev l’accusé de dissimuler des éléments de preuve compromettants.
A partir de ce moment-là, l’Azerbaïdjan et la Russie ont exercé des pressions indirectes l’un sur l’autre,
Bakou a menacé de fermer la maison russe, un centre culturel accusé d’être un nid d’espions
et de fermer les écoles en langue russe, et il y en a beaucoup en Azerbaïdjan parce que les deux pays ont été très proches pendant assez longtemps.
Les médias azerbaïdjanais ont aussi montré des reportages négatifs sur l’invasion russe de l’Ukraine et positifs sur l’aide de Bakou à Kyiv.
Côté russe, les propos dénigrants se sont multipliés dans les médias, allant jusqu’à dénoncer l’autoritarisme d’Ilyam Aliyev, ce qui est l’hôpital qui se moque de la charité,
et aussi allant jusqu’à menacer l’Azerbaïdjan d’une opération militaire spéciale.
en parallèle, des pressions judiciaires ont été accrues sur la diaspora azérie et azerbaïdjanaise, pour des bonnes et des mauvaises raisons
Fin juin, 50 azerbaïdjanais ont été arrêtés à Yekaterinbourg dans le cadre d’une enquête criminelle sur une affaire d’assassinat qui remonte à 2001,
est-ce que c’est une affaire justifiée par le travail de la justice ou plus politique,
toujours est-il que deux personnes sont décédées des suites de crises cardiaques
ça relancé la crise.
Bakou a annulé tous les évènements culturels russes prévus sur son territoire,
a procédé à l’arrestation de deux journalistes de Spoutnik et des touristes russes
pour ensuite les exhiber dans un tribunal, leurs visages tuméfiés après des passages à tabac évidents.
résultat, Spoutnik Azerbaïdjan a annoncé sa fermeture prochaine, les conditions de travail pour cet organe d’influence n’étant plus réunies.
Dans le même temps, et ce n’est pas une coïncidence, les médias azerbaïdjanais ont diffusé le témoignage d’un officier russe qui a assuré avoir reçu l’ordre d’ouvrir le feu sur l’avion de ligne abattu en décembre 2024.
est-ce que c’est un témoignage solide ou pas, c’est une autre question étant donné que l’Azerbaïdjan est un Etat autoritaire qui pratique sa propre propagande agressive,
mais en tous les cas, le fait que ce témoignage sorte maintenant est une manière de plus de mettre la pression sur la Russie et d’illustrer cette détérioration des relations bilatérales.
Cela étant dit, il faut rajouter une autre dimension à l’affaire, c’est les dimensions de politique intérieure
en Russie, on assiste à de forts mouvements anti-immigration et l’arrestation de cinquante azerbaïdjanais d’un coup ça rentre dans le cadre des raids contre les Kirghizes, les Tadjiks, les Ouzbèques, etc.
En Azerbaïdjan, le régime Aliev pratique des méthodes d’autoritarisme classiques, qui passent par la mobilisation de la société sur différents phénomènes étrangers pour faire oublier la situation intérieure.
et de fait, les rapports de violations des droits de l’homme et de pressions sur les médias ou les cercles universitaires se multiplient ces dernières années.
et puis, oser exhiber des citoyens russes après des passages à tabac, ça montre bien que le régime n’en a plus rien a faire de garder les apparences.
Donc il y a ces dimensions de la détérioration des relations bilatérales et des logiques internes
qui sont ce que j’ai appelé les petits évènements
qui s’inscrivent dans le grand cadre géopolitique, qui est que la Russie perd pied dans cette partie du Caucase du sud.
qui a fait partie de son pré carré depuis le milieu du XIXe siècle
Ce mouvement à l’est du Caucase du sud, il se fait en parallèle de la reprise de contrôle sur la Géorgie, à l’ouest, qui avait cherché à échapper à la Russie depuis la révolution des roses de 2003
comme quoi rien n’est jamais fixé dans le marbre et la Russie peut tout à fait revenir dans le jeu plus tard.
Mais en l’occurrence, Moscou n’a plus beaucoup d’influence sur Bakou qui a mené ses guerres du Haut Karabakh sans consulter le Kremlin et sans se soucier des contingents russes déployés en Arménie.
Moscou tente de peser sur le processus de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan mais sans grand succès pour l’instant, en grande partie parce que toutes ses ressources et son attention sont dirigées vers l’Ukraine.
et ce processus de paix, il est crucial entre les deux pays, parce que la menace d’une guerre persiste, et que les frontières ne sont pas bien délimitées
depuis la dernière offensive en 2023, l’Azerbaïdjan occupe 301 km2 du territoire souverain arménien,
l’Arménie occupe 77kms, donc dans les deux cas ce sont des positions stratégiques en hauteur dans les montagnes, pas des grandes villes ou autre.
Dans ce contexte, l’Arménie a cherché d’autres alliés que la Russie qui n’a rien fait pour l’aider
le Premier ministre Nikol Pachynian a suspendu sa participation au traité de l’organisation du traité de sécurité collective, a renvoyé chez eux des forces de maintien de la paix russes,
il travaille à une demande d’adhésion à l’union européenne, se rapproche de l’Otan, achète des armes françaises et indiennes.
Sur la scène intérieure, le gouvernement surveille de près les oligarques russes et l’Eglise orthodoxe russe. Il y a quelques jours, le 1er juillet, le président du Parlement arménien a même évoqué le besoin d’interdire les médias russes en Arménie.
Ce qui est inédit pour un pays très longtemps allié loyal de la Russie.
et il y a quelques jours, on a eu vent d’un accord entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Turquie pour ouvrir le corridor de Zangezur sans aucune participation russe
Le corridor de Zangezur, c’est la partie sud de l’Arménie, qui relie le pays à l’Iran mais qui sépare l’Azerbaïdjan de sa province du Nakitchevan et plus loin de la Turquie.
Il y a deux semaines, Nikol Pachynian s’est rendu en Turquie pour rencontrer Recep Tayip Erdogan,
c’était historique, la première visite d’un dirigeant arménien depuis l’indépendance en 1991 et en gros depuis le génocide de 1915.
A la suite de cette visite, il a été convenu de modalités d’aménagement du corridor à travers la construction d’une voie ferroviaire directe entre l’Azerbaïdjan et le Nakitchevan, le long de la frontière avec l’Iran
les modalités douanières ont aussi été discutées et à en croire certaines sources, come CaucasusWarreport ou civilnet, ce serait une compagnie de logistique américaine qui pourrait prendre la responsabilité du transit des trains.
l’implication américaine, on ne l’a pas forcément vu venir mais c’est visiblement un projet qui est porté par l’administration Trump, dans une logique transactionnelle,
qui est soutenu par toutes les parties comme une sorte de garantie de sécurité
et qui évincerait complètement la Russie du processus.
Pour l’instant on n’a pas de confirmation de cette implication américaine mais par contre le deal sur le corridor de Zangezur semble être en très bonne voie, puisque le vice-président du parti AKP, la majorité présidentielle de Recep Tayip Erdogan,
a tout juste confirmé qu’il y avait eu un accord de trouvé.
L’ouverture du corridor accélérerait assez probablement la conclusion de la paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
il mènerait sans doute à l’établissement de relations diplomatiques entre Erevan et Ankara et à l’ouverture des frontières
voilà qui permettrait à l’économie arménienne de respirer et de se diversifier de la Russie.
Le corridor deviendrait un élément central d’une longue route commerciale allant de l’Inde à l’Europe en évitant la Russie et l’Iran
et il permettrait aussi d’établir une connexion terrestre entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, ce qui est un des grands projets de l’arc turcique reliant la Turquie à l’Asie centrale.
Et évidemment, tout ça sans la Russie, ce qui serait un bouleversement géostratégique considérable.
Alors, encore une fois, l’histoire n’est pas écrite, et la Russie, même si elle est occupée en Ukraine, n’est pas inactive.
On voit qu’elle tente bien de continuer à peser sur la situation en Arménie, en vue des prochaines élections
les services arméniens ont aussi évoqué plusieurs tentatives d’assassiner Nikol Pachynian
Les services ukrainiens viennent de dénoncer une manoeuvre pour renforcer la présence militaire russe sur la base de Gyumri. Les Arméniens démentent mais le fait est qu’il y a encore une présence russe dans le pays.
Les Russes oeuvrent aussi pour développer leur propre corridor qui pourrait les relier à l’océan indien et à l’Inde, à travers l’Iran et l’Azerbaïdjan.
Parce que au-delà des gros titres, il y a des relations étroites entre Moscou et Bakou, notamment sur la coopération énergétique
et des manoeuvres pour vendre du gaz russe à l’Azerbaïdjan qui ensuite le revend aux Européens.
La Russie doit néanmoins comprendre qu’elle est en train de perdre pied dans cette partie du Caucase du sud,
et la décision du 4 juillet de reconnaître le régime des talibans en Afghanistan,
c’est aussi une manière de de désenclaver au sud et de chercher des corridors alternatifs vers l’océan indien.
donc l’histoire n’est pas écrite. Mais derrière ces visages tuméfiés de journalistes et touristes russes, il y a des mouvements bien plus structurels qui se jouent.
Je m’arrête là, merci!