La Transnistrie s’enfonce dans la crise
Pour la sixième fois cette année, les autorités de Transnistrie ont prolongé l’état d’urgence économique, ce 10 juillet,
état d’urgence qui est en place depuis décembre 2024 dans ce territoire de facto détaché de la Moldavie, contrôlé par la Russie.
Pourquoi cette prolongation? En soi, c’est assez simple: Tiraspol ne reçoit plus de livraisons directes et gratuites de gaz depuis la Russie,
donc sa situation économique s’est dégradée.
Mais évidemment c’est un peu plus complexe que ça, alors parlons en.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on revient sur le cas de la Transnistrie en amont des élections législatives en Moldavie en septembre prochain
Ma dernière vidéo sur la Transnistrie date de février,
la Transnistrie venait de vivre une crise énergétique sans précédent après que l’Ukraine a interrompu le transit de gaz russe sur son territoire
et que la Russie avait mis du temps à décider d’une route alternative
à la fin, ça avait été fait, après que l’Union européenne soit intervenue pour assurer la continuité des approvisionnements en urgence
Chisinau et Bruxelles avaient une opportunité historique de réintégrer Tiraspol à travers un changement radical dans ses approvisionnements énergétiques
mais finalement c’est la Russie qui a continué à approvisionner la Transnistrie
à travers une société de distribution gazière hongroise payé par une société à Dubaï
et financée par la Russie.
En février, on pensait que ça pouvait être la fin de l’histoire:
Chisinau et Bruxelles avaient essayé d’obtenir certains leviers sur Tiraspol et de facto en avaient obtenu quelques-uns,
mais dans l’ensemble, Moscou allait continuer à subventionner son exclave en Moldavie
en finançant une société à Dubaï qui allait payer une société en Hongrie qui allait approvisionner la Transnistrie.
Le but étant évidemment de la maintenir à flot et d’assurer une présence à la fois en Moldavie mais aussi à l’arrière de l’Ukraine, près d’Odessa.
En substance, c’est ce qu’il se passe. Mais il s’avère que la Transnistrie est loin d’être sortie d’affaire car la Russie paie beaucoup moins que ce l’on aurait pu croire.
Quand le gaz transitait directement de la Russie à travers l’Ukraine, la Transnistrie recevait 5 millions de mètres cube par jour
le terminus du gazoduc étant en territoire contrôlé par le gouvernement moldave, Moscou envoyait la note à Chisinau et ne payait quasiment rien
Donc elle vivait sur la base d’une énergie quasiment gratuite et illimitée.
Après la crise énergétique de l’hiver dernier, la Transnistrie a reçu 2 millions de mètres cube de gaz par jour pour sa saison de chauffage
après la fin de la saison de chauffage, 1 million de mètres cube, voire moins.
la raison officielle c’est que Tiraspol ne peut pas payer son fournisseur hongrois, mais ça ne colle pas, je vais y revenir.
Il faut voir ce que ça représente pour un territoire qui ne fonctionnait qu’au gaz et un peu au charbon.
La Transnistrie, c’est entre 250.000 et 300.000 habitants mais c’est surtout un bassin industriel très important, de fait le plus important de la Moldavie
ce qui fait que les réductions des approvisionnements en gaz ont des conséquences désastreuses.
dans les cinq premiers mois de 2025, la production industrielle a chuté de 43%, les secteurs métallurgique et chimique de plus de 60%.
La Transnistrie produisait pendant très longtemps l’essentiel de l’électricité de la Moldavie à partir de la centrale thermique de Curciugan
cet hiver, elle a fait passer la centrale du gaz au charbon et a interdit la vente d’électricité à la Moldavie
ce qui fait que ses rentrées de devises en ont été diminuées d’autant.
L’inflation est galopante et les salaires n’en finissent pas d’être coupés.
Pendant les années 2010, le salaire moyen en Transnistrie était le double de celui de la Moldavie, maintenant cette courbe s’est inversée et le salaire moyen est moitié moins que celui en Moldavie.
On parle ici d’une économie pseudo-soviétique, avec un forte implication des autorités publiques,
et en l’occurrence, l’Etat assure ne plus avoir d’argent, à la fois pour payer les importations de gaz mais aussi pour faire tourner le pays.
Et donc Tiraspol fait des coupes partout et vient de contraindre les collectivités territoriales du territoire à transférer des fonds au niveau central.
Même la ville de Tiraspol a été ponctionnée, ce qui est vraiment inédit.
Tiraspol rationne les distributions d’énergie, des milliers de personnes subissent des coupures de chauffage, d’électricité, ou encore des pénuries de propane aux stations service.
un certain nombre de voitures sont tunées pour tourner au propane bien moins cher que l’essence.
Il y a quelques semaines, le leader de la Transnistrie, Vadim Krasnoselsky, a même franchi un rubicon en assurant qu’il ne pouvait plus garantir ses obligations sociales, les subventions, les pensions, les retraites.
ce qui est vraiment un socle du pacte social de cet Etat fantoche post-soviétique.
la situation est tellement grave que Victor Gushan a effectué un virement officiellement à son nom pour renflouer la municipalité de Tiraspol.
Victor Gushan, c’est le patron de l’ombre de la Transnistrie, celui qui contrôle le monopole Sheriff omniprésent dans ce territoire.
Il tire toutes les ficelles depuis des années malgré le fait qu’il vit en Allemagne
Mais toujours en coulisses, alors que là il a transféré 1,8 million d’euros en son nom propre et il en a fait la publicité, ce qui est extrêmement révélateur.
Alors qu’est-ce qui se passe? Parce que, je l’ai dit, la raison officielle c’est que l’Etat de Transnistrie n’a plus d’argent.
Mais l’Etat de transnistrie, c’est un appendice du Kremlin
Et il est clair que c’est la Russie qui a permis à la Transnistrie de survivre aussi longtemps
à travers du gaz gratuit, mais aussi des transferts directs, au titre d’une assistance financière, humanitaire ou des primes aux services de sécurité.
là, tous les observateurs constatent que la russie ne paie plus, ou en tout cas pas suffisamment.
ce n’est pas à cause des sanctions internationales, la Russie pourrait trouver des intermédiaires comme elle en a trouvé beaucoup auparavant.
c’est politique. Et quant aux raisons de ce choix politique, c’est là où on se perd en conjectures.
Soit le Kremlin abandonne ce projet transnistrien et veut fermer boutique, c’est une opinion qu’on peut entendre en Moldavie
moi je n’y crois pas du tout, il y a eu des crises avant mais ça n’a jamais remis en cause l’existence de la république
Au Kremlin il y a un manager qui est récemment monté en grade, Sergueï Kornienko, et qui est en charge de la Transnistrie, de l’Abakhazie et de l’Ossétie du sud en Géorgie,
et rien n’indique qu’il soit prêt à lâcher l’affaire.
seconde option: le Kremlin ne peut plus payer, ce qui voudrait dire que la Russie est vraiment à cours de liquidités à cause de sa guerre en Ukraine
ça aussi j’ai du mal à y croire étant donné que la transnistrie ne coûte pas cher à à l’échelle de la Russie, on peut toujours trouver un compte offshore par ci par là pour renflouer la république.
une autre théorie, c’est que la Russie instrumentalise cette crise pour créer une situation humanitaire très délicate en amont des législatives moldaves du 28 septembre.
ça, ça paraît plus crédible, ça rentre dans le cadre des actions russes pour déstabiliser la Moldavie et peser sur la politique intérieure
ça sous-entend que la Russie joue expressément avec le destin des populations civiles, et ça c’est assez cohérent avec les pratiques russes.
Quatrième option, c’est une simple rationalisation des ressources, la Russie paie moins car elle doit établir des priorités
comme ça s’est passé après les crises financières de 1998 et 2008, la Transnistrie a directement souffert des crises en Russie
Mais encore une fois, ça ne remet pas du tout en cause l’existence de la république, la Russie va la garder comme une zine grise ad vitam aeternam pour faire pression sur la Moldavie.
Le Premier ministre de Moldavie a récemment exprimé la crainte que la Russie ne déploie 10000 soldats en Transnistrie,
ce qui en l’état n’est pas possible puisque la frontière ukrainienne est fermée et que la Moldavie contrôle qui entre et sort, notamment par l’aéroport de Chisinau.
récemment, plusieurs athlètes russes et bélarusses qui voulaient se rendre à une compétition de kickboxing à Chisinau ont été interdits d’accès au territoire moldave.
Justement par crainte qu’ils restent en Moldavie pour déstabiliser le pays ou qu’ils disparaissent en Transnistrie pour réapparaître avec un uniforme russe sur le dos.
ça ne fait pas 10000 soldats mais petit à petit, ça peut faire qqc,
c’est une pratique très courante, héritée de l’URSS, qui a marché à Cuba, en Syrie ou encore en Egypte
Quoiqu’il en soit, il faut partir du principe que la Russie veut garder la Transnistrie comme un projet actif.
Mais ça n’empêche pas que la situation est extrêmement difficile.
Et même si la Russie veut conserver son influence, Tiraspol a aussi ses logiques propres
puisque les élites des deux côtés du Dniestr sont très imbriquées
Et le gouvernement à Tiraspol se cherche des moyens de survivre.
Par exemple en annonçant qu’il cherche un prêt de 122 millions d’euros pour finir son année budgétaire
en faisant bien sûr du pied à l’Union européenne
si c’est l’Union européenne qui paie, alors ça s’assortira de conditions concernant les droits de l’homme ou des concessions politiques,
c’est ce qui a été tenté en hiver mais sans succès.
Le leader de Transnistrie Vadim Krasnoselski a aussi rencontré l’ambassadeur d’Ukraine, ce qui est assez rare pour être signalé puisque l’Ukraine ne reconnaît pas la Transnistrie russe
en l’occurrence c’est lié aux UKrainiens qui fuient la mobilisation en Ukraine et qui passent clandestinement en Transnistrie
où ils se font interroger par le FSB russe mais aussi potentiellement recruter
rencontrer l’ambassadeur c’est aussi une manière pour Tiraspol de diversifier ses contacts en espérant que ça puisse aussi désenclaver son économie ou même assurer des livraisons de gaz,
c’est ce que Volodymyr Zelensky avait proposé en hiver.
étant donné que l’infrastructure des gazoducs existe et que l’Ukraine a du gaz à vendre, pourquoi pas.
En substance, la Transnistrie tente de faire ce que le Bélarus fait depuis de nombreuses années,
c’est à dire se trouver des partenariats ici et là sans jamais remettre en cause son allégeance à Moscou.
et on a encore vu récemment qu’Alexander Loukachenko a joué exactement ce jeu avec les Américains.
donc tout est une question de degrés, pour voir à quel point la Russie joue avec cette république fantoche.
si elle joue un peu, alors la Transnistrie ne fera que subir une certaine forme de crise humanitaire, d’imiter des signes d’ouverture
tout en tentant de faire pression sur la scène politique moldave.
si Moscou joue beaucoup ou ne peut juste plus assurer les besoins de la république, alors celle-ci sera contrainte de faire des concessions
et peut-être que Chisinau et Bruxelles trouveront plus de leviers pour réintégrer la Transnistrie et en finir avec l’un des plus vieux conflits gelés d’Europe.
En tout cas pour l’instant il faut constater que la Transnistrie va mal, très mal même, le plus mal depuis la guerre de 1992.
Et ça, c’est inédit.
Merci!