À quoi servent les victoires ukrainiennes auprès de la justice internationale?
L’Ukraine n’en finit pas d’engranger des victoires et la Russie, des revers.
Non, je n’essaie pas de faire semblant d’imaginer une configuration parallèle sur les lignes de front
mais je parle des instances de la justice internationale.
Ce sont des victoires qui se chiffrent en milliards d’euros, et qui permettent de préserver la cohérence de la position légale de l’Ukraine
Mais dans le contexte actuel de désaveu des institutions multilatérales et de l’idée d’un droit international,
on peut se poser la question: à quoi ça sert?
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on explore une facette de la guerre russe contre l’Ukraine.
C’est-à-dire un effort très soutenu depuis 2014 pour défendre les intérêts de l’Ukraine devant les instances de la justice internationale établies depuis 1945, et qui perdurent aujourd’hui,
D’abord pour vous donner une idée de quoi on parle: hier, le 9 juillet, la cour européenne des droits de l’homme a reconnu la Russie coupable d’abus flagrants des droits de l’homme en Ukraine depuis 2014
et responsable de l’attaque contre l’avion de ligne MH17, le 17 juillet 2014 donc il y a presque 11 ans.
Ce n’est que l’un des nombreux jugements d’une instance internationale sur ce dossier. Ca ne va avoir aucun impact sur la Russie, mais ça contribue à la cohérence des arguments juridiques à verser au dossier.
le 1er juillet, la cour d’appel de Paris a donné raison à une banque ukrainienne Oschadbank pour les dommages causés par l’annexion russe de la Crimée
la cour d’appel de Paris, ce n’est pas une instance internationale, mais le tribunal a en fait confirmé un verdict d’une cour d’arbitrage internationale qui avait été rendue en 2018.
La banque ukrainienne doit toucher 1 milliard et demie d’euros pour dommages et 300.000 euros pour intérêts.
La Russie de Vladimir Poutine ne va pas payer, on est bien clairs.
Mais ce jugement de la cour d’appel permet à la banque ukrainienne de saisir des actifs russes en France, c’est une méthode qui se diffuse dans plusieurs juridictions.
juste avant, une autre cour d’arbitrage internationale a concédé une victoire à la compagnie gazière ukrainienne Naftogaz dans une affaire concernant le contrat de transit de gaz russe à travers l’Ukraine entre 2019 et 2025.
Gazprom doit plus d’un milliard d’euros à Naftogaz
ce qui fait suite à un autre verdict de décembre 2023 par lequel Gazprom doit payer 5 milliards de dollars à Naftogaz, cette fois à cause de son expropriation de ses possessions en Crimée annexée.
Là encore, Naftogaz sollicite différentes juridictions nationales pour saisir des actifs de Gazprom.
Et ça marche, notamment en France et en Finlande.
On pourrait multiplier les exemples: l’Ukraine a remporté cette dernière décennie toute une série de victoires de ce type, sur des questions énergétiques et commerciales,
sur des questions de droits de propriété, sur des questions de liberté de navigation dans le détroit de Kertch et la mer d’Azov,
et évidemment sur des questions de droits de l’homme, compte tenu des milliers d’abus qui ont été recensés depuis 2014.
Je tiens à noter ici que ce qui confère une valeur certaine à ces jugements, c’est que la Russie a reconnu l’autorité des différentes juridictions concernées
à la différence d’autres pays comme la Corée du nord, le Bélarus ou même les Etats-Unis sur beaucoup de points, la Russie s’est beaucoup impliquée dans le système international et a validé la légitimité des différentes institutions multilatérales
ensuite, ce qu’elle en a fait, c’est une autre question, et on voit que ces dernières années elle s’en est désengagée
et qu’elle n’entend pas respecter les décisions de ces instances.
Du côté de l’Ukraine, l’idée maîtresse a été que ces instances peuvent permettre aux Etats faibles de faire valoir leurs droits face à des Etats forts, et agresseurs.
Depuis 2014, l’annexion de la Crimée et le lancement de la guerre du Donbass, l’Ukraine est devenu une championne du droit international,
dans le sens où elle s’est largement remise aux jugements des différents tribunaux qui existent pour défendre ses intérêts.
Ce faisant, elle a parachevé son insertion dans le système multipolaire en tant qu’Etat indépendant, ça a conforté sa légitimité à exister et sa souveraineté.
L’Ukraine est un de ces pays qui se réfère au droit international comme une protection,
et c’est pour cela qu’elle a adhéré à la cour pénale internationale de la Haye le 1er janvier 2025 et qu’elle soutient pleinement le travail des enquêteurs internationaux sur son sol, afin de documenter les crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui s’y sont déroulées.
Le procureur général d’Ukraine a déjà recensé plus de 153000 cas de crimes de guerre, qui chacun nécessite une enquête approfondie.
Volodymyr Zelensky vient tout juste d’avaliser la création d’un tribunal spécial au sein du conseil de l’Europe qui doit statuer sur le crime d’agression de la Russie
c’est à partir de la reconnaissance de ce crime d’agression, donc le 24 février 2022 et non le 20 février 2014, que la cour pénale internationale aura une base légale pour juger les crimes de guerre.
alors, tout ça c’est bien joli mais où est-ce que cela nous mène pourriez-vous me demander?
Parce que évidemment ces décisions de justice, qui vont pour l’immense majorité dans le sens de l’Ukraine, ne vont pas lui permettre de gagner la guerre sur le terrain.
Et ces décisions de justice émanent d’institutions qui sont de plus en plus contestées et de moins en moins respectées.
Je n’entre pas du tout dans le débat sur ces institutions représentant la justice de l’homme blanc pour continuer à opprimer le reste du monde,
c’est bien plus compliqué que ça et les mandats d’arrêts lancés simultanément à l’encontre de Benyamin Netanyahou des dirigeants du Hamas montrent que rien n’est simple
et de même, le droit international n’est pas qu’une préoccupation des Européens, ça serait aussi trop simple, on voit que des grandes puissances comme le Brésil ou l’Inde cherchent à entrer, à leur manière, dans le système international pour y être reconnu à leur juste valeur
et aussi dans le cadre des cours d’aribtrage sur des questions énergétiques et commerciales, il n’y a rien de civilisationnel, c’est purement économique.
toujours est-il que la crédibilité de ces instances internationales est minée ces dernières années par les actions des grandes puissances et de plusieurs pays dans le monde qui refusent ouvertement de se prêter au jeu du multilatéralisme
et qui pratiquent des double discours et des systèmes de deux poids, deux valeurs, en fonction des situation.
Un des grands moments qui a entamé la crédibilité de l’ONU et de ses institutions dans le monde de l’après-guerre froide, c’est évidemment l’Iraq en 2003
mais plus près de nous, la situation au Proche et au moyen orient ne fait qu’attiser les tensions autour d’un double standard.
et tout ça nuit évidemment à la crédibilité des acteurs qui, sur le terrain ukraino-russe, viennent se réclamer du droit international
ça les rend extrêmement faibles face à des Etats comme les Etats-Unis, la Russie, l’Iran, la Corée du nord qui eux ont clairement décidé de tout casser et de briser le système tel qu’il existe;
et du coup ça affaiblit aussi les efforts de l’Ukraine pour défendre ses droits et obtenir justice.
Dans le cas très spécifique ukrainien, le désengagement des Etats-Unis est un coup très dur.
L’administration Trump a retirer son soutien à des groupes qui enquêtaient sur le crime d’agression, les crimes de guerre, les kidnappings d’enfants ukrainiens,
et en plus elle a mis la cour pénale internationale sous sanctions parce qu’elle n’était pas contente du mandat d’arrêt contre Banjamin Netanyahou.
Et donc il est tout à fait possible que les tentatives de l’Ukraine d’obtenir justice ne débouchent pas tous sur des résultats probants, voire que certaines procédures soient abandonnées faute de financement ou de volonté politique
et quand bien même l’Ukraine obtiendrait justice, la Russie ne se pliera pas aux décisions de tribunaux.
Face à ces risques, le plus important réside dans la cohérence de la position ukrainienne et des institutions multilatérales.
Quelle que soit la configuration géopolitique, quel que soit le niveau de soutien des grandes puissances du monde,
quel que soit le rapport de force, il est primordial pour l’Ukraine de rester droit dans ses bottes
puisque les institutions et les systèmes changent mais on voit quand même une continuité des principes de droit international au fil des siècles,
par exemple, les grands principes du traité de Westphalie de 1648 sont toujours d’actualité.
Dans la région, un précédent fait cas d’école, c’est celui des Etats baltes
Leur annexion par l’URSS en 1940 n’a jamais été reconnu par l’ONU ou les représentants du bloc capitaliste
ce qui a permis à l’Estonie, à la Lettonie et à la Lituanie de restaurer leur souveraineté en 1990-1991
et d’avoir tout de suite une base légale pour régler les questions de territoires, de frontières, de droits de propriété, de dettes, etc.
Si l’Ukraine parvient à conserver cette cohérence dans ses recours à la justice internationale, et si au moins les institutions internationales existantes préservent cette cohérence, à défaut des grandes puissances,
alors elle pourra potentiellement s’en servir à un moment donné, quand la configuration géopolitique aura changé, si la configuration politique change un jour.
Pour les Etats baltes, ça a pris 50 ans. Mais ça a payé à la fin.
Et donc c’est ça que je voulais dire, tous ces efforts peuvent paraître futiles au vu du rapport de force actuel et du désaveu d’un nombre croissant de pays du monde
Mais il faut se projeter dans la profondeur de l’histoire
et c’est exactement ce que les Ukrainiens font, et ça rajoute à la dimension existentielle de ce conflit.
Merci