Le front de Zaporijjia pire que Pokrovsk?
On a tous les yeux rivés sur les villes de Pokrovsk et de Myrnohrad pour savoir si et quand ces champs de ruines dans l’est de l’Ukraine vont tomber aux mains des Russes
Et quand je dis tous, je parle évidemment des journalistes, des observateurs internationaux mais aussi du haut commandement ukrainien
qui a tenté plusieurs opérations de stabilisation ou de contre-offensives très localisées ces dernières semaines.
Mais pendant que les Ukrainiens sont occupés à Pokrovsk, les Russes poursuivent une lancée assez impressionnante plus au sud, dans la région de Zaporijjia.
Comme toujours, les problèmes de ressources humaines, de fortifications et la stratégie globale du haut commandement sont au coeur des critiques.
Alors parlons-en.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on constate encore une fois les poussées russes sur plusieurs secteurs du front,
toujours du grignotage, toujours des batailles urbaines, mais dans l’oblast de Zaporijjia ça va très vite et ça peut faire plier le front tel qu’on le voit sur les cartes, je vais y revenir.
D’abord, je voulais dire un mot de la lettre d’intention signée par Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron le 17 novembre à Paris pour l’achat d’une centaine de Rafale
Plus des systèmes SAMP/T NG.
Une perspective prometteuse d'une garantie de sécurité de long terme pour l’Ukraine qui s'ajoute à l'accord sur la fourniture de 100-150 Gripen suédois.
L'Ukraine voit ses perspectives de sécurité et de défense à travers un prisme européen, et ses partenaires semblent bien le lui rendre.
Ca ne va pas aider Kyiv à gagner cette guerre mais c'est une projection bienvenue, qui nous permet de dépasser l'incertitude du quotidien.
Une bonne nouvelle aussi pour la France: l'Ukraine devient le 10e pays à acquérir le Rafale. C'est le plus gros contrat d'acquisition de l'histoire de l'appareil (en dehors des commandes de l'Etat français).
Mais voilà comme j’ai dit, ça ne va pas aider l’Ukraine à gagner cette guerre actuelle, c’est une projection de long-terme.
Sur le terrain actuellement, on voit que l’Ukraine a été capable d’offrir une certaine résistance aux assauts russes à Myrnohrad, Pokrovsk et Koupiansk,
mais que ça a des résultats mitigés, et que la Russie a juste son avantage numérique à opposer à toute tentative de résistance.
On ne sait pas combien de temps ça va durer, mais il semble clair que ces villes sont d’ores et déjà perdues comme des centres logistiques et des villes fortifiées,
surtout Pokrovsk qui est prise à plus 80% par les Russes aujourd’hui.
Par contre au sud, les Ukrainiens ont opposé une résistance minimale, et ils en paient les conséquences aujourd’hui.
On se rappelle, il y a 9 mois, la chute de Velyka Novosilka marquait un coup dur pour la défense ukrainienne puisque, comme je l’avais fait remarquer à l’époque,
il n’y a rien, aucun obstacle urbain, aucune aspérité naturelle entre Velyka Novosilka et les villes de Pokrovske et Houliaipole.
ce sont des terres de steppes, petites collines, végétation courte, les fameux Dikie pole, les champs sauvages qui sont appelés comme cela depuis le 15e ou 16e siècle
Houliaipole est la ville de Nestor Makhno, l’anarchiste qui avait établi un territoire libre assez éphémère dans les années 1918-1920
Houliaipole marque le début d’une ligne horizontale du front de Zaporijjia qui a été le plus stable depuis 2023,
et la ville même a résisté à toutes les attaques venues du sud.
Ca a brusquement changé ces derniers jours, quand les Russes ont réalisé des percées assez impresisonnantes par rapport à leur rythme habituel.
On parle de près de 15 kilomètres en l’espace de trois semaines, avec des unités ukrainiennes qui ont reflué très rapidement
Houliaipole est aujourd’hui menacée par le nord, par un saillant qui vient aussi menacer la ville de Pokrovske, autrefois une ville de l’arrière, aujourd’hui à moins de 7 kilomètres des positions russes.
On voit ici la reproduction des tactiques russes utilisées depuis Vuhledar: les assauts frontaux ne marchent pas?
Alors on contourne, on crée un saillant, on mène des opérations d’infiltration et on pousse sans discontinuer, et sans regarder les pertes.
La tactique russe, on la comprend, mais ce qui pose question ici c’est la stratégie ukrainienne
le secteur n’a pas été la priorité pendant longtemps, parce que ça ne servait à rien de défendre de la steppe et surtout parce que les Ukrainiens n’ont pas assez de troupes pour tout tenir de manière égale,
ce qui fait qu’au mois d’octobre, 69% des gains territoriaux russes se sont opérés dans l’oblast de Zaporojjia alors que ce secteur n’a concentré que 16% des assauts,
ça ce sont les statistiques de Deepstate.
Mais maintenant que Houliaipole et Pokrovske sont menacés, les Ukrainiens se retrouvent en très mauvaise posture
parce que si ces villes tombent, il n’y aura de nouveau pas grand chose jusqu’aux villes de Zaporijiia et Dnipro.
regardez cette carte de l’expert français Clément Molin,
les Ukrianiens ont construit leur réseau de fortification du sud au nord
mais les Russes arrivent par l’est, donc parallèle aux lignes de fortifications
donc les Ukrainiens jouent vraiment gros: ils ont mal orienté et construit leur réseau de fortifications
et font face à un déficit chronique de troupes.
ce qui peut bouleverser tout le dispositif de défense au sud, forçant les Ukrainiens le long de cette ligne à se replier pour contrer l’avancée russe venue de l’est
et plaçant peu à peu la ville de Zaporijjia à portée des drones de moyenne portée, FPV de courte portée. et de l’artillerie
Et je n’ai pas besoin de rappeler à quel point ce serait dramatique pour une ville d’un million d’habitants et un grand centre industriel qui produit historiquement beaucoup de matériel militaire et aéronautique.
On y est pas encore, et on voit beaucoup de comparaisons ces derniers jours avec la seconde guerre mondiale, pour faire remarquer qu’en 4 ans, de 1941 à 1945, Staline avait pris Berlin,
alors que Vladimir Poutine est à une quarantaine de kimomètres de Donetsk, son point de départ en février 2022.
mais on voit la tendance, et les appels à un changement de stratégie ukrainienne se font de plus en plus audibles
en particulier maintenant que le leadership politique est affaibli par l’affaire de corruption de la semaine dernière.
Et quand j’entends changement de stratégie c’est passer d’une vision de contrôle du territoire à celle de la préservation des ressources humaines.
Parce qu’on voit que dans le cadre de cette guerre d’attrition, l’insistance sur le contrôle territorial a ses limites, et que l’Ukraine en paie le prix.
Merci