Le Nuremberg géorgien

C’est le Nuremberg de l’opposition. En Géorgie, une commission d’enquête se tient depuis le début de l’année pour déterminer si l’ancien gouvernement de Mikheil Saakachvili a été responsable du déclenchement de la guerre de 2008.

Et ce faisant, la commission en profite pour mettre au pas l’opposition au régime de l’oligarque Bidzina Ivanishvili.

Déjà 6 leaders de l’opposition sont sous les barreaux et en coulisses, le travail de consolidation d’une verticale autoritaire se poursuit.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on s’intéresse à la Géorgie, ma dernière vidéo date de janvier donc il était temps.

On a l’impression qu’il ne se passe plus rien en Géorgie, à part les manifestations quotidiennes qui occupent pendant quelques heures le centre de Tbilissi et de quelques autres villes.

Aujourd’hui 1er juillet on en est au 216e jour de protestations ininterrompues.

La plupart du temps, ce sont des marches de quelques dizaines de personnes, avec des drapeaux et des pancartes, donc pas de quoi faire tomber le régime,

mais ça témoigne d’une mobilisation constante qui se manifeste à plus grande échelle à certaines occasions comme il y a deux jours.

Pourquoi ces manifestations? Pour protester contre la dérive autoritaire et très complaisante avec la Russie du parti au pouvoir depuis 2012, le rêve géorgien, qui a fait passer ces dernières années des mesures restreignant la liberté d’expression et d’assemblée,

mettant la société civile au pas à travers une loi contre les agents de l’étranger

truquant les résultats des élections législatives d’octobre 2024 pour s’assurer la continuation de son pouvoir

ce parti est contrôlé par l’oligarque Bidzina Ivanishvili, qui est un pur produit de l’oligarchie post-soviétique russe et qui règne sans partage sur le pays.

Avec les années, Bidzina Ivanishvili a exprimé de plus en plus sa volonté de revanche vis-à-vis de l’ancien président Mikheil Saakachvili, qu’il a fait arrêter en 2021

et par extension de toute son équipe.

donc il a validé sa victoire aux élections législatives, avec de multiples fraudes qui ont été bien documentées,

quand je dis ça ce n’est pas pour dire que c’est une élection entièrement volée par genre une minorité de 20 ou 30% aux dépends des 70-80% restants,

car le Rêve géorgien bénéficie d’un soutien populaire réel dans les campagnes, dans les classes ouvrières, parmi les minorités nationales,

et c’est soutenu par une très forte croissance économique, en 2025 on se projette entre 6 et 8% de hausse du PIB

mais il y a eu un certain nombre de fraudes pour assurer au régime une main-mise incontestable sur le parlement et lui donner toutes les marges de manoeuvre dont il avait besoin.

Bidzina Ivanishvili a initié le lancement d’une commission d’enquête pour déterminer la responsabilité de la Géorgie dans le déclenchement de la guerre de 2008.

D’emblée, il l’a nommé le Nuremberg géorgien, en référence au procès qui a jugé les dignitaires nazis après 1945.

avec deux objectifs:

Le premier c’est effectivement faire reconnaître que le gouvernement de Mikheil Saakachvili a lancé la guerre de 2008, en plus de ça sans prévoir de mesures spéciales pour protéger les populations civiles,

établir cette responsabilité serait une rupture catégorique avec la position de la Géorgie, qui est que la Russie a attaqué sans justification,

elle permettrait de présenter des excuses, selon les mots de l’oligarque, aux habitants de l’Ossétie du sud

ce qui ensuite peut permettre d’initier un processus de réintégration de cette région et peut-être de l’Abkhazie à la Géorgie,

ou en tout cas de rapprochement entre une Ossétie et une Abkhazie russes et une Géorgie en cours de russification

Et dans le même temps, ça permettrait à Tbilissi de renouer une relation diplomatique et économique pleine et entière avec Moscou.

Le second objectif, c’est de briser l’opposition une bonne fois pour toute

En Géorgie, il y a beaucoup de partis d’opposition, la plupart d’entre eux sont compatibles avec la politique du pouvoir

mais l’opposition qui dérange vraiment Bidzina Ivanishvili, c’est celle qui est issue de la révolution des roses de 2003 et de l’ère Saakachvili

celle qui soutient mordicus le processus d’intégration euro-atlantique du pays, celle qui représente les couches urbaines de la classe moyenne, l’intelligentsia, les Géorgiens qui ont une certaine défiance vis-à-vis de la Russie

Ce qui fait que la commission d’enquête s’est transformée en outil de répression de cette opposition.

Des anciens ministres, aujourd’hui chefs de partis d’opposition, ont été convoqués par la commission

soit ils ne se sont pas présentés, soit ils ont refusé de répondre aux questions, soit ils ont refusé de payer les amendes infligées pour divers motifs,

et six têtes de file ont été envoyés en prison pour des durées plus ou moins longues.

six leaders sur les neuf partis que compte, en gros, l’opposition au régime, ça fait beaucoup.

Evidemment il faut y ajouter Mikheil Saakachvili lui-même bien qu’il n’était plus actif sur la scène politique géorgienne

et bien sûr il faut ajouter plus de 50 participants des manifestations quotidiennes qui ont été arrêtées au cours des derniers mois pour diverses raisons, que ce soit des affrontements avec la police, des doigts d’honneur ou de simples affichages de slogans et de drapeaux

En plus de ces détentions, le pouvoir a déjà fait passer plusieurs mesures pour restreindre la liberté de la presse, l’indépendance de la justice et de la société civile…

la dérive autoritaire est assez évidente

Elle est dénoncée comme telle dans une série de sanctions américaines, britanniques et européennes.

qui sont à la fois dirigées contre les dirigeants du parti le rêve géorgien mais aussi contre le contournement des sanctions imposées à la Russie

parce que la Géorgie, comme un certain nombre de pays du Caucase et d’Asie centrale, ont été très actives pour aider la Russie à contourner ses sanctions et pour renouer peu à peu des relations commerciales, financières et culturelles avec la Russie

Ca s’inscrit dans le virage géopolitique du régime

qui s’exprime à travers une série de signes comme la suspension du processus d’intégration européenne,

là c’est intéressant puisque le régime assure qu’il est toujours pro-européen mais qu’il veut changer l’union européenne actuelle, il souhaite plus une Europe des nations illibérale et pro-paix, c’est-à-dire pro-russe, comme Viktor Orban

Un autre signal c’est que Bidzina Ivanishvili a refusé plus d’une rencontre avec l’ambassadeur des Etats-Unis, ce qui est assez révélateur

ou encore que l’Etat, la semaine dernière, n’a pas envoyé de cortège officiel pour accueillir la dépouille d’un soldat géorgien tué en Ukraine,

ce qui est la première fois depuis 2014, quand les premiers géorgiens se sont mobilisés en faveur de l’Ukraine

C’est une série de signaux qui ne trompent pas.

Alors, quelles sont les perspectives?

Parce qu’on voit des fissures dans l’appareil d’Etat, avec au moins cinq démissions de fidèles collaborateurs de Bidzina Ivanishvili ces derniers temps,

principalement parce qu’ils ont été visés par des sanctions américaines et britanniques.

Mais malgré ça, malgré la désaffection de certains loyalistes qui trahit des faiblesses en interne,

on a plutôt l’impression que le régime va tenir. L’opposition est clairement affaiblie et ses marges de manoeuvre sont limitées

en marge des manifestations quotidiennes, une représentante de l’opposition a lancé une grève de la faim qui n’a duré que quelques jours

et qui s’est terminée quand une coalition de partis a annoncé le boycott des élections locales prévues pour début octobre.

Boycotter les élections, c’est refuser de rconnaître leur légitimité

mais c’est aussi se sortir du jeu, et c’est aussi admettre d’une certaine manière que l’opposition urbaine n’a pas vraiment d’ancrage dans les territoires.

Et quelque soit les évolutions à l’intérieur du pays, ou les sanctions décidées par les Européens et les Américains,

la Russie reste très proche, avec des troupes russes d’Ossétie du sud à une quarantaine de kilomètres de la capitale

je l’ai déjà dit dans mes précédentes vidéos, l’opposition géorgienne est du mauvais côté de la mer Noire, elle est coupée du reste de l’Europe par le conflit en Ukraine et autour de la mer.

Et donc même si le régime en venait à s’effondrer de lui-même, les perspectives de changement radical sont assez limitées.

En tous les cas ce qui se passe reste important, ne serait-ce que la consolidation de ce pouvoir autoritaire et le travail de cette commission d’enquête, de ce Nuremberg géorgien.

la Commission va rendre ses conclusions en septembre si tout se passe comme prévu, et si elle conclut de la responsabilité de la Géorgie dans la guerre, alors ça pourrait enclencher une dynamique nouvelle vis-à-vis de l’Ossétie du sud et de l’Abakhazie,

vis-à-vis de la Russie aussi,

mais ça pourrait aussi servir de précédent pour tenter d’appliquer la formule à la Moldavie et, le cas échéant, à l’Ukraine. Donc c’est à suivre.

Merci

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