Macron normalise Poutine

Hier 1er juillet, Emmanuel Macron s’est entretenu pendant deux heures au téléphone avec Vladimir Poutine.

C’était la première fois que les deux hommes se parlaient, en tout cas officiellement, depuis les interminables discussions de l’hiver 2022 qui avaient été aussi embarrassantes pour la partie française qu’inutiles à faire stopper l’invasion russe de l’Ukraine

Alors depuis hier, on se pose la question: qu’est-ce qui pourrait avoir changé pour que le président français reprenne langue avec son homologue russe?

réponse: rien, si ce n’est le besoin du Président français d’exister sur la scène diplomatique.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, c’est ma deuxième vidéo aujourd’hui après celle que j’ai posté sur la situation en Géorgie ce matin, je vous invite à aller regarder, j’y avais passé beaucoup de temps pour parler de ce pays qui s’enfonce dans l’autoritarisme

mais là cet après-midi je trouve enfin le temps de faire un petit billet sur cet appel entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine

de la même manière que j’avais fait une vidéo sur l’appel d’Olaf Scholz à Vladimir Poutine en novembre 2024

Le chancelier allemand avait été le premier à rompre l’isolement diplomatique du dirigeant russe qui était justifié par l’invasion de 2022

Evidemment Vladimir Poutine n’a jamais été complètement isolé, de nombreux dirigeants à travers le monde continuaient à s’entretenir avec lui, et même du côté européen on avait Victor Orban et Aleksandar Vučić

Mais parmi les grandes puissances occidentales, il y avait au moins un front commun pour ostraciser le Kremlin et contribuer ainsi à la pression mise sur la Russie pour soutenir l’Ukraine.

Olaf Scholz avait pris cette initiative pour des raisons principalement intérieures, parce que son gouvernement venait de chuter et qu’il voulait se présenter comme le chancelier de l’apaisement en amont d’élections législatives

Qu’avait-il obtenu? Rien

Donald Trump a suivi, en appelant Vladimir Poutine à répétition. Il a obtenu un peu plus, notamment la reprise des négociations diplomatiques et quelques réunions pour discuter de questions techniques et tenter de relancer un effort de paix autour de l’Ukraine

Mais fondamentalement, il n’a rien obtenu de spectaculaire.

Pour Emmanuel Macron, on sait déjà que ce sera exactement pareil.

Pourquoi? parce qu’aucun des trois dirigeants n’a établi au préalable un rapport de force qui amènerait la Russie à dévier de sa trajectoire!

et c’est bien le language de la force que comprend Vladimir Poutine, pas celui de l’apaisement qu’il considère comme un signe de faiblesse.

La première des motivations du Président français, c’est le Moyen-orient. Les deux tiers de la conversation ont porté là-dessus, pour tenter de synchroniser une position sur l’encadrement du programme nucléaire iranien ou de ce qu’il en reste.

Pas besoin de se voiler la face: Emmanuel Macron a appelé Vladimir Poutine parce que la France, et l’Europe en général, ont été littéralement éjectés du dossier

comme la Russie d’ailleurs, à cette exception près que la Russie continue d’entretenir un partenariat avec l’Iran

Mais ce partenariat n’a servi à rien contre les frappes israéliennes et américaines

donc le coup de fil d’hier, c’était un entretien entre deux outsiders, pour savoir comment ils pourraient rejoindre par la petite porte la fête dont ils ont été virés

Sachant que la Russie y va avec sa relation privilégiée avec le régime des mollahs, son empreinte régionale qui est un peu plus marquée, et sa pratique du rapport de force.


La France, elle arrive avec des idées, des principes, des propositions qui sont louables mais qui ne servent quasiment à rien sur un tel théâtre d’opération!

La France arrive aussi avec un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU mais ce conseil est grippé depuis des années, et ce n’est pas Donald Trump ou Vladimir Poutine qui le débloqueront.

Et donc oui peut-être que la Russie peut remettre la France dans le jeu moyen-orientale si elle-même arrive à y peser. Mais ça ne sera pas gratuit pour Paris.

Hier, Emmanuel Macron a balayé d’un revers de la main la cohérence de la position européenne pour avoir l’occasion de dire qu’il avait parlé à Vladimir Poutine.

Pas négocié, pas exigé, pas décidé, mais juste parlé.

Après ce coup de fil, la France ne va rien gagner au Moyen-orient, par contre elle a déjà affaibli sa position vis-à-vis de l’Ukraine.

Bien sûr qu’il faut se préoccuper du moyen-orient et des nombreux conflits qui meurtrissent le monde,

mais quand on est une puissance moyenne comme la France représentante d’une grande puissance indécise qu’est l’Union européenne, il faut établir des priorités,

et cette priorité c’est l’Ukraine, c’est ce conflit qui non seulement se déroule sur notre continent mais en plus nous concerne directement parce que les Russes nous menacent directement.

Même le chef des renseignements allemand avertit désormais sur une possible invasion russe d’un pays de l’union européenne d’ici 2029.

Alors sacrifier la cohérence de la position française et européenne sur le dossier ukrainien pour s’agiter et gesticuler sur le dossier moyen-oriental sans rien obtenir?

Je ne vois pas du tout comment ça peut valoir le coup.

dans le communiqué final de l’Elysée, l’Ukraine occupe trois fois moins de place que l’Iran: encore une fois, ça peut se justifier si on a des résultats, mais pas là.

A travers ce communiqué, l’Ukraine a été rabaissée au simple rang de point chaud sur la carte du monde, alors que non, ce conflit européen concerne au premier chef les Européens.

Emmanuel Macron retombe dans ses travers de 2022, quand il voulait être au coeur de l’action diplomatique à défaut de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir s’investir plus dans la résistance à la Russie.

Parce que le grand non-dit de ce coup de fil, mais celui qui est tellement évident, c’est que le Président français veut continuer à exister sur la scène internationale sans forcément s’en être donné les moyens

Donald Trump parle à Vladimir Poutine tous les quatre matins? Emmanuel Macron le veut aussi. Oui, mais le premier c’est le chef de la première puissance mondiale, donc ce n’est pas exactement pareil.

Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz annonce un plan d’investissement dans la défense qui pourrait être trois fois celui de la France?

Emmanuel Macron fait valoir le prestige diploamtique de la France et son siège à l’ONU. Mais comme j’ai dit, leur importance sont plus diluées dans le monde actuel.

Ce n’est pas pour dire que la France ne fait rien pour aider l’Ukraine ou pour motiver les efforts d’autonomie stratégique en Europe, loin de là.

Dans ces deux dossiers, l’hexagone joue un rôle central.

Mais il y a toujours eu au sommet de l’Etat une sorte de dissonance cognitive sur la perception de la menace, les politiques menées, les moyens alloués et la communication autour.

Evidemment les diplomates et les observateurs avisés un peu plus franco-centrés me contrediront, mais je suis en Europe centrale et orientale depuis suffisamment longtemps

pour savoir que traiter ainsi avec la Russie ne peut apporter aucun résultat constructif.

Depuis hier, Vladimir Poutine doit se féliciter, il voit les Occidentaux se presser de nouveau vers lui, le normaliser,

sans qu’il aient auparavant envisagé un changement de logiciel pour que la Russie relâche son effort d’invasion de l’Ukraine.

Les Européens ont-ils décidé d’envoyer des troupes au sol ou même de mettre en place un dispositif pour défendre une partie de l’espace aérien ukrainien?

ce qui serait essentiel maintenant qu’on apprend que les Etats-Unis interrompent les livraisons de Patriot à l’Ukraine, il faudra y revenir.

Les Européens ont-ils décidé d’un embargo immédiat et total sur les importations d’hydrocarbures?

Non, ils arrivent avec les mêmes recettes: des sanctions quils peinent à faire adopter à cause de l’opposition des Hongrois et des Slovaques,

des livraisons d’armes et de munitions au compte goutte,

un soutien financier insuffisant en partie parce que les Européens refusent de saisir les 200 milliards d’euros qui sont gelés dans leurs banques

ils arrivent avec des contrats juteux d’approvisionnement en hydrocarbures qui fait que 2022 l’Union européenne a payé plus à la Russie pour son gaz et son pétrole qu’à l’Ukraine pour sa défense et la survie de son économie.

Alors, comment, dans ce contexte, quelqu’un comme Emmanuel Macron peut penser qu’il va obtenir de Vladimir Poutine quelque chose qu’il n’a pas eu jusqu’à présent?

en tout cas ici en Ukraine, on reste bouche bée, comme si les trois dernières années n’avaient appris aucune leçon.

comme si, dans la lignée de Donald Trump, l’objectif prioriaire dans cette guerre ce n’était ni la victoire de l’Ukraine ou la défaite de la Russie, ou l’inverse,

mais juste un retour à la normale, au business as usual, le plus vite possible.

Merci à vous

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