Analyse: en Moldavie, le PAS ou le déluge?

Aucun gouvernement au monde n’aurait besoin d’un tel scandale. Fin mars 2025, pas moins de sept criminels récidivistes ont été relâchés d’une prison haute sécurité de Moldavie en vertu d’une loi d’amnistie. Adoptée en 2022, celle-ci avait été rendue déraisonnablement permissive par une série d’amendements législatifs. Face à l’esclandre, le gouvernement du Premier ministre Dorin Recean a du suspendre la mesure et se mettre en quête des ex-détenus, pour constater que l’un d’entre eux, un tueur en série jadis condamné à à vie, avait librement quitté le pays. Le directeur de l’administration d’Etat pénitentiaire a démissionné, tandis que l’influente député Olesea Stamate, à l’origine des amendements compromettants, a été exclue du parti Action et Solidarité (PAS), la majorité gouvernementale. Les critiques de l’affaire ont rapidement débordé sur l’inefficience des réformes de la justice.

Le gouvernement moldave dénonce, à raison, la déstabilisation provoquée par les opérations d’ingérence russe hors norme dans les précédents scrutins - référendum et présidentielles. La percée d’une extrême-droite trumpiste et “unioniste” en Roumanie voisine fragilise aussi la position centriste et pro-européenne de la Présidente Maia Sandu et du PAS. Néanmoins, en amont d’élections législatives “cruciales”, ces facteurs externes ne sont pas aussi dangereux pour le PAS que les manquements et revers accumulés au fil des années. Le très médiatisé le très médiatisé “scandale de l’amnistie” s’ajoute à une longue liste.

Un “troisième tour” crucial dans le cadre d’un régime parlementaire

Les élections du 28 septembre peuvent être considérées comme le “troisième tour” d’un cycle électoral entamé à l’automne 2024. Le 20 octobre, un référendum visant à inscrire l’objectif d’intégration européenne dans la Constitution a été approuvé de justesse, à 50,35%. Le même jour, le premier tour de la présidentielle a placé Maia Sandu en ballotage. Le 3 novembre, elle a a été réélue dans une victoire en demi-teinte. Si elle a remporté 55,35% du vote global, son opposant Alexandr Stoianoglo, soutenu par le Parti socialiste, a sécurisé 51,2% en Moldavie-même. Il a été défait en raison de l’apport des voix des Moldaves de l’étranger, à hauteur de 82%.

Détenteur d’une majorité confortable de 63 sièges sur 101 depuis les législatives de juillet 2021, le PAS a donc du souci à se faire, d’autant plus que le parti est bien moins populaire que sa figure tutélaire, Maia Sandu. Selon un sondage du centre IMAS, publié mi-avril, le PAS ne serait crédité que de 24,4% des voix. Quatre autres partis franchiraient le seuil des 5%. Le Parti des socialistes de l’ancien Président Igor Dodon remporterait 13,1%. “Alternative”, une alliance qui regroupe notamment Alexandr Stoianoglo et le maire de Chisinau, Ion Ceban, gagnerait 8,8%. “Victoire”, nouveau projet de l’oligarque en exil en Russie Ilan Shor, récolterait 8,6% des voix. “Notre parti”, de l’homme d’affaire et ancien maire de Balti Renato Usatii serait en cinquième position avec 6,5%. Les perspectives de coalition entre ces quatre formations demeurent floues. Mais toutes, à divers degrés, formulent des positions eurosceptiques et russophiles, ce qui ferait d’un PAS minoritaire la seule formation estampillée comme pro-européenne dans l’hémicycle.

Ingérence russe

En fixant la date des élections au 28 septembre, Igor Grosu, président du Parlementul (Parlement), a insisté sur leur dimension “cruciale”. “Soit nous bousculons tout, nous anéantissons nos efforts d’intégration européenne et de modernisation et nous nous interdisons toute chance de rejoindre l’UE, soit nous nous progressons sur le chemin du développement et de la paix.” De fait, les autorités tirent la sonnette d’alarme, en mettant l’accent sur les manoeuvres de désinformation et d’influence menées par une constellation de groupes liés à Ilan Shor et à des intérêts russes. Le Premier ministre Dorin Recean a récemment estimé que ces réseaux ont dépensé environ 200 millions d’euros pour “acheter des voix” lors des élections de 2024. Un investissement équivalent à 1% du PIB moldave.

Surpris par l’ampleur de cette ingérence étrangère à partir de la mi-2024, les autorités ont réagi. L’arrestation, fin mars, de la “Baskan” (gouverneure) de Gagaouzie Evghenia Gutul pour financement illégal de campagne a fait suite à la condamnation d’un député du Bloc des communistes et socialistes (BCS), Alexandr Nestrerovschi, à 12 ans d’emprisonnement pour les mêmes motifs. Ce dernier a fui vers la Transnistrie à bord d’un véhicule de l’ambassade de Russie. L’affaire a confirmé le rôle du Kremlin dans ces pratiques d’ingérence électorale tout en justifiant l’expulsion de trois diplomates russes. Début avril, la police nationale a entamé des procédures pour sanctionner les électeurs qui ont accepté l’achat de leurs voix lors des scrutins de l’automne 2024. Selon les estimations, environ 140000 citoyens pourraient être concernés.

Le travail de veille des autorités se poursuit, en amont du 28 septembre. Néanmoins, le risque d’opérations d’ingérence pilotées depuis la Russie ne constitue pas l’unique raison du manque de popularité du PAS.

Un bilan honorable

Le parti de Maia Sandu n’a certes pas eu la tâche facile. Arrivé au pouvoir pendant la pandémie de Covid-19, il a du faire face au choc de l’invasion généralisée de l’Ukraine à partir du 24 février 2022. Dans ce contexte, le principal succès mis en avant par le PAS réside dans l’obtention du statut de candidat à l’adhésion à l’UE en juin 2022 et l’ouverture des négociations en juin 2024. Dans l’environnement géopolitique instable de la région de la mer Noire, marqué par le gel du processus d’intégration européenne en Géorgie et par les multiples défis de la candidature ukrainienne, la Moldavie est au coeur des attentions de la Commission européenne. La Commissaire pour l’élargissement Marta Kos est même allée jusqu’à déclarer qu’elle considérera son mandat “comme un échec si la Moldavie ne va pas au bout des négociations durant cette période”. Et de mettre en avant 2029 comme un objectif réaliste.

Ces décisions politiques s’accompagnent de mesures de soutien concret. Mi-mars, le Conseil de l’UE a adopté le programme “Moldova Reform and Growth facility” d’un montant total de 1,9 milliards d’euros, soit plus de 10% du PIB, qui sera déboursé par tranches semestrielles jusqu’en 2027. On peut encore citer la “Comprehensive Strategy for Energy Independence and Resilience of Moldova”: dotée de 250 millions d’euros, elle vise à découpler le réseau énergétique national de la Russie d’ici la fin 2026 et à l’intégrer dans le marché énergétique européen. La stratégie prévoit aussi des mesures de soutien aux ménages les plus défavorisés et un appui conditionnel à la région de Transnistrie.

De sérieuses lacunes économiques

Reste que cette relation privilégiée entre Chisinau et Bruxelles n’a pas remis la Moldavie sur les rails d’un développement économique et social équilibré. L’inflation est certes jugulée à 5%, loin des 28,6% de 2022 et 13,4% de 2023. Mais, après une chute du PIB de 5% en 2022, le gouvernement et sa majorité parlementaire n’ont pas su retrouver le chemin de la croissance économique. Mi-avril, le FMI a drastiquement revu à la baisse les prévisions de hausse du PIB en 2025 de 3,7% à 0,6%. Selon un rapport du Center for Partnership for Development and the East European Foundation, le taux de pauvreté absolue a bondi de 24,5% en 2021 à 31,6% en 2023. Selon l’étude “Unequal Moldova”, présenté en novembre 2024, 65% de la population dispose de revenus à peine suffisants pour s’offrir des produits de base.

Le contexte géopolitique, la guerre russe en Ukraine ou les politiques tarifaires de l’administration Trump, impacte fortement la conjoncture moldave. Les efforts de diversification des approvisionnements énergétiques sont par exemple compliqués par le gel des programmes d’assistance de l’agence américaine USAID, dont dépend la réalisation d’une ligne à haute tension reliant Straseni à Gutinas, en Roumanie. Reste que, dans le contexte électoral, les autorités sont critiquées pour ne pas apporter de réponses satisfaisantes à ces questions. Selon le sondage IMAS cité ci-dessus, les premières préoccupations des Moldaves portent sur la pauvreté à 21,2%, l’inflation à 14,2% et la corruption à 11,3%. Dans le même temps, le PAS est vilipendé par l’opposition comme un parti de l’intelligentsia urbaine, déconnecté de la réalité socio-économique du pays, centré sur des questions culturelles telles que celle du roumain comme langue d’Etat. Le fait que le Parlement a concédé, fin avril, une “aide de Pâques” en dit long sur les inquiétudes de la majorité en amont des élections. Il s’agit d’une allocation ponctuelle aux familles, à raison d’environ 75 euros par enfant de moins de cinq ans.

La réforme de la justice au milieu du gué

En parallèle de ces critiques dans la sphère socio-économique, le gouvernement est critiqué pour son bilan réformateur en demi-teinte. Championne de la lutte contre la corruption dès son entrée en politique, Maia Sandu peine à afficher des résultats probants. Certes, la Moldavie a amélioré son classement dans l’index de perception de la corruption de l’ONG Transparency International, en passant de 34 points sur 100 en 2020 à 43 en 2024. Toutefois, la persistance d’une corruption systémique, en tous les cas perçue comme telle dans les enquêtes d’opinion, met à mal le crédit réformateur du PAS. En février 2025, la démission fracassante de la Procureure anti-corruption Veronica Dragalin, une Américano-moldave en poste depuis août 2022, a contribué à ébranler la confiance du public. De fait, Veronica Dragalin a mis en cause des projets de loi nuisant à l’intégrité de la justice. Depuis, elle dénonce des pressions politiques exercées sur la sélection de magistrats.

Fin mars, un scandale provoqué par une loi d’amnistie a encore alimenté les critiques sur l’inefficience des réformes de la justice. Adoptée en 2022, la loi avait été rendue déraisonnablement permissive par une série d’amendements législatifs. En conséquence, pas moins de sept criminels récidivistes ont été relâchés d’une prison haute sécurité de Moldavie. Face à l’esclandre, Dorin Recean a du suspendre la mesure et se mettre en quête des ex-détenus, pour constater que l’un d’entre eux, un tueur en série jadis condamné à à vie, avait librement quitté le pays. Le directeur de l’administration d’Etat pénitentiaire a démissionné, tandis que l’influente député Olesea Stamate, à l’origine des amendements compromettants, a été exclue du parti Action et Solidarité (PAS), la majorité gouvernementale.

Une difficile quête de partenaires

Dans ce contexte, le parti de Maia Sandu ne retrouvera probablement pas sa majorité au Parlamentul. Interrogée sur les perspectives de bâtir une coalition de gouvernement dans l’émission “Cabinet fantôme” de Jurnal TV, Maia Sandu a d’ores et déjà regretté que le PAS soit “la seule force véritablement pro-européenne qui a une chance de rentrer au Parlement”. La cheffe de l’Etat n’a pas évoqué la possibilité de bâtir des alliances en amont, par exemple en apaisant les tensions avec Veronica Dragalin ou en élaborant une politique économique au profit des territoires et des couches populaires de la population. L’enjeu étant de dépasser un discours binaire entre europhiles et russophiles afin d’adresser les préoccupations premières de la population et de préserver les acquis de l’européanisation du pays.

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