Actifs russes gelés: la saisie ou la banqueroute de l’Ukraine?

Il se joue actuellement une rude bataille dans les couloirs des institutions et des chancelleries européennes

pour débloquer plus de 170 milliards d’euros d’actifs russes gelés qui seraient mis à disposition de l’Ukraine.

En l’occurence, c’est surtout la Belgique qui bloque, et demain vendredi devrait se tenir une réunion de crise avec la Commission européenne

pour tenter de solutionner ce problème.

Les alternatives sont simples: soit débloquer ces fonds pour financer l’Ukraine, soit que les Etats-membres mettent la main au portefeuille, encore plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent.

Il existe évidemment une troisième possibilité: ne plus financer l’Ukraine et laisser le pays en situation de banqueroute.

Alors, pourquoi utiliser cet argent, pourquoi la Belgique bloque, et pourquoi la Norvège pourrait bien arriver en sauveur de la dernière heure?

Je vous explique.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo sur un serpent de mer de la politique européenne depuis 2022,

une question très complexe que j’essaie de synthétiser au maximum.

Il s’agit des actifs russes gelés dans plusieurs juridictions dès l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.

On parle d’environ 300 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale russe principalement qui sont gelés, donc pas saisis mais gelés.

Donc vous voyez ce graphique du Kyiv independent, 72% sont gelés en UE, 62% en Belgique, c’est très important

9% de plus est gelé au royaume uni, donc 81% en tout gelé en Europe

et le reste entre le Japon, le Canada et les USA.

Depuis 2022, on se dit qu’il y a là une somme d’argent incroyable pour financer l’effort de guerre de l’Ukraine,

le soutien international, macro-financier, militaire ou technique, qui s’élève à environ 100 milliards d’euros par an

mais que plusieurs experts voudraient voir monter à 150 milliards d’euros par an pour donner à l’Ukraine les moyens de gagner cette guerre

même s’il n’est pas sûr que plus d’argent créerait vraiment une différence, mais c’est une autre question.

Depuis 2022, on se pose la question de la saisie de ces actifs gelés, mais ça a toujours été rejeté par les pays qui en détiennent le plus

pour des questions de réputation, de fiabilité, de solidité de la zone euro, pour éviter les recours en justice, pour éviter que l’Europe perde sa place comme place financière internationale

alors on a trouvé des palliatifs: transférer à l’Ukraine les impôts prélevés des intérêts générés par ces actifs,

puis transférer ces intérêts même, ce qui est assez substantiel.

La question de la saisie même, elle a été enterrée pendant longtemps,

ce qui fait que ce sont les contribuables européen et américain qui ont porté le poids de l’aide à l’Ukraine.

Mais il y a quelque chose de fondamental qui a changé cette année: Donald Trump.

Quasiment dès son arrivée au pouvoir, il a cessé de soutenir l’Ukraine, que ce soit militairement ou financièrement.

Vous voyez ce graphique de l’institut Kiel qui suit le soutiens de l’Ukraine: les Etats-Unis ont déboursé en tout 114 milliards d’euros depuis 2022 pour soutenir l’Ukraine.

on est donc très loin des 300 milliards ou 500 milliards de dollars dont Trump a parlé avec beaucoup d’insistance,

récupérer cet argent était un de ses enjeux de campagne, ça nous a mené au deal sur les minerais rares, tout ça tout ça.

en le disant, ça paraît déjà tellement loin… Bref

Toujours est-il que dès son retour au pouvoir, l’aide s’est tarie d’un coup comme vous le voyez ici.

Les Européens se sont retrouvé seuls en lice, avec les Japonais, les Canadiens, les Australiens et quelques autres, pour fournir un effort colossal.

et vu que les initiatives de Donald Trump, toujours lui, ont échoué lamentablement, on se projette sur le scénario d’une guerre longue, et les Européens ne veulent pas avoir à payer 100 milliards d’euros par an tous seul pendant encore 2, 5, 10 ans.

quand on voit la situation financière de la France, on comprend que ça n’enchante personne.

Alors la question de la saisie s’est enfin imposée dans le débat public.

Mais avec toujours cette question: comment faire?

La commission a proposé un tour de passe-passe: ne pas saisir les actifs russes gelés mais les transformer en un fonds d’emprunt qui serait disponible pour que l’Ukraine puise dedans

et elle n’aurait à rembourser ces emprunts que si la Russie lui paie jamais des réparations de guerre, ce qui semble assez irréaliste.

auquel on rajouterait les actifs gelés dans les autres juridictions de l’Union européenne, du Royaume-uni et du Japon

on a même parlé à un moment donné d’associer à ce fonds 25 milliards d’euros qui sont gelés dans des comptes d’individus, oligarques et autres,

ce qui amènerait le fonds d’emprunt à environ 200 milliards d’euros

et ça donnerait pas mal de visibilité à l’Ukraine, pour son soutien macro-financier, son industrie de défense, les besoins de sa reconstruction et de son développement économique.

Parmi les Etats-membres, les uns y sont allés de leurs arguments pour ou contre, mais globalement la magie du consensus européen semble avoir fait son effet, surtout face à l’urgence,

et la proposition de la Commission est plus ou moins validée par tous,

à l’exception de la Belgique, sans laquelle rien ne peut se faire car elle détient 62% de ces actifs gelés à travers la société Euroclear, société internationale de dépôt et de règlement

dont les locaux se trouvent dans un quartier nord de Bruxelles

C’est toute la fondation de cet édifice puisqu’Euroclear pourrait débloquer 140 milliards d’euros à elle seule,

l’immense majorité de ce qui pourrait constituer ce fonds d’emprunt.

Le gouvernement belge refuse tout net car il craint les recours en justice qui seront à coup sûr entrepris par la Russie

et il craint d’avoir un jour à rembourser les sommes qui seraient utilisées par l’Ukraine, en tant que garant d’Euroclear.

il demande donc des assurances des autres Etats-membres pour s’assurer qu’il ne serait pas seul exposé aux représailles russes.

C’est compréhensible. Mais la Belgique est aussi dans une position délicate

parce qu’elle a très peu contribué en bilatéral à l’aide à l’Ukraine et qu’en bloquant cette utilisation des actifs gelés, elle condamne tous les autres membres à payer beaucoup plus que de raison.

Bruxelles propose bien des compensations, en promettant 1 milliard par an de plus d’aide à l’Ukraine, c’est-à-dire les impôts prélevés sur les intérêts

et de continuer à transférer les intérêts générés par ces actifs. Mais on le voit, les taux d’intérêt redescendent ces temps-ci.

ce qui fait que les intérêts générés par les actifs gelés s’élevaient à 6,9 milliards d’euros l’an dernier,

ils devraient s’élever à à peine 5 milliards d’euros cette année.

Donc l’Ukraine y perd, les européens doivent payer plus, et ce déblocage des fonds gelés se fait de plus en plus pressant.

Comment arriver à convaincre la Belgique: évidemment les Européens se mobilisent entre eux, et c’est le but de la réunion de demain.

Mais c’est aussi là qu’arrive la Norvège: grande productrice de gaz naturel, elle a engrangé des profits substantiels à partir de 2022 quand les Européens ont cherché à se couper du gaz russe

et que les cours mondiaux se sont enflammés

on estime qu’elle aurait réalisé un surplus de 110 milliards d’euros sur 2022-23

qui est une somme qui est allée directement dans son fonds souverain estimé aujourd’hui à 2 billions d’euros, donc 2000 milliards d’euros

Si la Norvège se portait comme garantie de ce fonds d’emprunt, tous les problèmes des Européens et des Belges s’évanouirait.

On voit de plus en plus de pression qui est mis sur Oslo ces derniers temps, pour des raisons morales, pour des raisons de partenariat stratégique, et pour des raisons d’équilibre financier du continent.

C’est super intéressant de plonger un peu dans l’ingéniosité des décideurs politiques pour tenter d’utiliser cet argent sans se l’approprier stricto sensu.

c’est probablement un cas qui va faire école dans l’histoire de la finance internationale et qui aura des répercussions pendant des décennies.

Moi je pense que ça va se faire, d’une manière ou d’une autre. Peut-être que la COmmission va proposer une nouvelle idée, par exemple un endettement commun garanti par des eurobonds, des accords bilatéraux ou un emprunt européen

mais je pense que ça va se faire. pour la simple et bonne raison que les Européens ne peuvent ni lâcher l’Ukraine, ils se sont trop engagés, ni payer tout tous seuls.

Je termine avec cette une du magazine britannique The Economist qui prend le pari de voir ce financement européen de l’Ukraine comme une double opportunité.

D’abord ce serait un message fort envoyé à Vladimir Poutine

mais ce serait aussi une occasion de s’affranchir des Etats-Unis et du cirque trumpien qui nous tient tous en haleine depuis le mois de janvier

une opportunité pour les Européens de se prendre en main et de concocter leur propre plan de défense, de victoire, et de paix.

Je m’arrête là: on a la réunion de demain qui sera peut-être décisive ou non, mais surtout le conseil européen du 18 et 19 décembre, c’est là qu’une décision devrait être formalisée, ou pas

pour l’heure, merci

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