Espions hongrois en Ukraine: vers une invasion?

Ce 9 mai, alors que tous les regards sont tournés vers la parade à Moscou et que le cessez-le-feu unilatéral de Vladimir Poutine a été violé des dizaines de fois le long des lignes de front en Ukraine,

le SBU, les services de sécurité ukrainiens ont annoncé avoir démantelé un réseau d’espionnage militaire hongrois dans la région de Transcarpatie.

La mission du réseau: collecter des informations sur les défenses militaires ukrainiennes et sonder la population locale sur la perspective d’une intervention hongroise.

selon le SBU, c’est inédit mais ça s’inscrit dans le cadre d’une situation très particulière en Transcarpatie, et d’une rivalité très marquée entre Viktor Orban et les gouvernements ukrainiens successifs

Alors parlons-en.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on s’intéresse aux prétentions des uns et des autres sur le territoire ukrainien. Et en général, ceux qui sont les plus révisionnistes sont des alliés de la Russie.

Ce 9 mai, ce sont deux hommes qui ont été interpellés en Transcarpatie, représentants d’un réseau plus large et directement liés au renseignement militaire hongrois.

Comme j’ai dit, ils devaient collecter du renseignement sur le dispositif militaire ukrainien dans la région, identifier ses faiblesses et sonder la population sur le sujet d’une éventuelle intervention hongroise.

Le ministère des affaires étrangères hongrois a déjà réagi, en affirmant qu’il n’était pas du tout au courant.

Comme je vais vous l’expliquer, ça ne sort pas de nulle part, il y a un historique et il y a aussi un timing politique qui encadre l’annonce,

mais en tout cas ce genre d’espionnage de la part d’un pays de l’Otan, c’est inédit.

Alors, la Transcarpatie, c’est quoi?

c’est un territoire très particulier en Ukraine, coupé du reste du pays par les montagnes des Carpates,

C’est l’oblast le plus à l’ouest de l’Ukraine, rattaché en 1946, donc après la seconde guerre mondiale,

il a des frontières avec 4 pays qui sont aujourd’hui membres de l’UE et de l’Otan, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie

Chacun de ces pays a une histoire nationale qui déborde sur la région,

la Pologne à travers les communautés des Lemko et des Boyko qui sont des peuples des montagnes qui ont été déplacées après la seconde guerre mondiale,

La Slovaquie parce que la région appartenait à la Tchécoslovaquie dans l’entre-deux guerres,

la Roumanie à travers la présence d’une communauté roumaine dans la régions

et la Hongrie puisque non seulement la région a fait partie du royaume de Hongrie pendant des siècles

mais il y a aussi une communauté hongroise et magyarophone qui compte entre 100 et 150.000 personnes aujourd’hui,

qui est répartie le long de la frontière dans un bloc assez cohérent

vous le voyez sur cette carte en rouge, les endroits où les habitants revendiquent à plus de 70% le hongrois comme leur langue maternelle,

en vert, c’est le roumain et en bleu c’est l’ukrainien

cette carte est tirée du recensement de 2001, il n’y en a pas eu d’autres après, donc on sait que les équilibres démographiques ont changé, qu’il y a moins de Hongrois,

mais on ne sait pas dans quelle proportion

et de toutes les manières ces districts frontaliers restent très particuliers,

le hongrois est reconnu comme second langue officielle de l’administration, vous voyez le double affichage sur ce panneau de ville,

à la télé, les gens regardent la météo hongroise, ils se réfèrent la plupart du temps à l’heure de Budapest, donc une heure de moins que la zone horaire de Kiev,

et la Hongrie est très investie dans cette région à travers des programmes économiques, financiers, culturels, pédagogiques.

Et ça, ça ne pose pas de problème, qu’un Etat avec une forte diaspora gère des programmes pour maintenir les liens avec ses communautés nationales au-delà de ses frontières

la plupart des Etats du monde le font

mais dans le contexte hongrois, instrumenalisé par Viktor Orban depuis sa réélection en 2010, et dans le contexte de l’invasion généralisée par la Russie, ce n’est pas neutre.

Depuis les années 2010, les Hongrois reprochent aux Ukrainiens de nier les droits de la minorité hongroise et des écoles hongroises

et c’est vrai que Kyiv a mis en place une politique d’ukrainisation et renforce la place de l’ukrainien dans les écoles, mais il reste possible d’obtenir un enseignement en hongrois,

et comme j’ai dit la place du hongrois comme langue minoritaire n’est pas remise en cause.

Viktor Orban en a fait une question très politique, il l’a utilisé plusieurs fois pour bloquer des programmes de rapprochement de l’Ukraine avec l’UE et l’Otan,

mais ça ne trompe personne, s’il instrumentalise cette question c’est en raison de son poutinisme latent.

En parallèle, il a poussé une politique de passportisation dans la région, il y a eu un gros scandale en 2018 quand on a découvert que le consulat hongrois délivrait des passeports à tour de bras

pour magyariser la région alors que la double-citoyenneté n’est officiellement pas reconnue en Ukraine.

Bon, ça c’est encore une autre question, la double citoyenneté devrait être reconnue en Ukraine compte tenu du nombre d’Ukrainiens qui habitent à l’étranger,

c’est un serpent de mer qui dure depuis des années,

mais ça montre bien que l’implication de Budapest a une visée très politique.

L’annonce du démantèlement du réseau d’espionnage d’aujourd’hui, c’est inédit, mais quand on le remet dans le contexte d’une Hongrie très impliquée dans la région, très orbaniste et donc très poutiniste, ça paraît très logique.

Il y a quelques jours, un enregistrement audio du ministre de la défense hongrois a été diffusé, dans lequel il parle de préparer l’armée hongroise à la guerre, que l’ère de la paix est terminée,

du point de vue hongrois, on voit ce que ça peut vouloir dire: continuer son rapprochement avec la Russie, être prêt à saisir l’opportunité d’un effondrement ukrainien, sans doute se dissocier de l’UE et de l’OTAN

et donc le fait qu’ils ont un réseau d’espionnage en Transcarpatie, ça a du sens de leur point de vue

du point de vue ukrainien, c’est très pertinent qu’ils fassent cette annonce du démantèlement du réseau maintenant

d’abord parce que cette vidéo est sortie

ensuite parce que Viktor Orban bloque l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, entre autres au nom de cette question de la minorité hongroise de Transcapartie,

donc ça permet de faire un peu pression sur Viktor Orban

à un moment où il est apparemment assez faible: il est de plus en plus visé par des accusations de corruption, les sondages montrent qu’il pourrait perdre le pouvoir en 2026,

Entre autres raisons, c’est pour ça qu’il ne s’est pas rendu à la parade à Moscou,

et apparemment il pourrait ne pas bloquer le nouveau paquet de sanctions de l’Union européenne

ce qui serait vraiment un signe de faiblesse de sa part.

Donc il y a cette dimension très politique et il ne faut pas dramatiser les choses. Et pour être honnête, pour que l’armée hongrois intervienne directement en Transcarpatie, il faudra vraiment un effondrement de l’armée ukrainienne

qui est très loin d’arriver, mais aussi un effondrement de l’Otan, et on n’y est pas

Mais c’est sérieux. et dans le contexte de l’invasion généralisée de l’Ukraine par la Russie, il faut le prendre au sérieux.

Les revendications territoriales russes, on les connait.

Mais en Roumanie, on est aussi intéressée de bousculer les frontières établies.

Le candidat de l’extrême-droite George Simion, probablement le prochain président, a fait toute sa carrière en tant qu’unioniste, c’est à dire pour le rattachement de la Moldavie et de la Bessarabie ukrainienne

c’est de la rhétorique, mais à notre époque, plus rien n’est inimaginable,

même pas un pays membre de l’Otan et de l’Union européenne qui entretient un réseau d’espionnage dans la perspective d’envahir un voisin…

Je m’arrête là, merci d’avoir regardé!

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