Interdire les touristes russes en Europe?

C’est une controverse politique et un sujet de société qui perturbe les Européens depuis 2022:

comment accepter que des centaines de milliers de touristes russes continuent de prendre du bon temps dans nos villes et sur nos plages alors que leur pays mène la pire guerre d’invasion sur le continent européen depuis 1945?

Faut-il faire quelque chose, et si oui, que faire?

Cette question revient régulièrement, en général à chaque saison touristique ou lors de la négociation d’un nouveau paquet de sanctions à l’échelle de l’Union européenne.

Et ça a été le cas pendant la négociation du 19e paquet de sanctions, qui a été discutée aujourd’hui vendredi 26 septembre et qui est en passe d’adoption.

Mais on a déjà la réponse: les touristes russes vont pouvoir continuer à voyager librement au sein de l’Union européenne.

Cela dit, il y a des nuances.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où je sors un peu de ma région de la mer noire pour aborder une question qui est directement née de la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

Ca soulève tout un tas de questions sur la nature de la guerre, celle de Vladimir Poutine ou celle de la Russie,

sur la nature de l’Union européenne, sur sa dimension géopolitique et sur son respect des droits de l’homme et de la libre-circulation des personnes

sur la distinction à faire entre les citoyens russes qui soutiennent l’invasion directement ou indirectement et ceux qui fuient le régime

ou tout simplement ceux qui sont des russes ordinaires détachés de la guerre, comme l’a fait valoir récemment Yulia Navalna, la veuve d’Alexeï Navalny.

Si on va par là, on pose aussi la question de la distinction qui devrait être faite entre les Russes et les ressortissants d’autres pays agresseurs, par exemple que faire des Israéliens ou des Rwandais, qui occupent une partie du Congo?

Il y a aussi la dimension sécuritaire, la peur d’agents infiltrés qui ensuite mèneraient des opérations d’influence ou de sabotage,

mais ça c’est très relatif, étant donné que l’on a vu que les dernières opérations, que ce soit les cerceuils sous la tour eiffel, les étoiles de David, le vandalisme contre des synagogues ont été commis par des ressortissants serbes, moldaves ou même ukrainiens.

Donc il faut s’en protéger mais empêcher les Russes de venir ne va pas suffire.

Quand on y met le petit doigt, la question vous attrape tout le bras, mais elle continue d’être posée, quand on voit la jeunesse fortunée de Russie multiplier les excès à Courchevel avec des drapeaux russes et un cercueil pour l’Ukraine

c’est un exemple extrême mais ça traduit le malaise entre la politique soutenue d’aide à l’Ukraine et la présence de Russes qui peuvent tout à fait soutenir l’invasion,

voire même y participer, on ne compte pas les soldats russes bien payés qui s’octroient des permissions en Europe avec leurs familles.

Moi, j’ai ma propre opinion sur la question, si ça vous intéresse et que vous restez jusqu’à la fin de la vidéo je vous la partagerai,

en tous les cas pour l’instant je voulais faire un peu de factuel sur l’état du débat, qui a donc connu un regain d’intérêt dans les négociations du 19e paquet de sanctions

qui ont pour la plupart porté sur l’interdiction des importations de gaz et de pétrole russe, sous la pression de Donald Trump,

mais qui ont aussi abordé cette question: à un moment pendant l’été ça semblait acté que la Commission allait proposer une interdiction pure et simple de la délivrance de visas Schengen pour les citoyens russes.

C’était porté avant tout par Les États nordiques, les pays baltes, la République tchèque et la Pologne.

des pays qui ont de toutes les manières cessé de délivrer des visas Schengen aux citoyens russes dans leurs ambassades et consulats.

En fait, la Commission ne propose pas du tout ça, mais plutôt des restrictions sur le tourisme en Russie

le projet de proposition vise à interdire de fournir des services directement liés aux activités touristiques en Russie

donc ça vise expressément les tours opérateurs, les agences de voyages, les chaînes d’hôtel, et ainsi de suite.

L’objectif est de « réduire les revenus que la Russie tire de ces services et de décourager la promotion des voyages et des loisirs non essentiels en Russie »

Et ce sont des restrictions qui sont justifiées, évidemment par le contexte de guerre mais plus spécifiquement par le contexte où les ressortissants de l'Union européenne sont confrontés à un risque accru d'arrestations et de détentions arbitraires, et où la protection consulaire des binationaux est limitée

Parallèlement, la Commission prévoit de publier une nouvelle « stratégie » concernant les touristes russes venant dans l'UE d'ici la fin de l'année.

Mais il s'agirait probablement d'un « document plus souple et non contraignant » que les sanctions de l’UE

On comprend pourquoi la Commission fonctionne de cette manière: face aux pays qui préconisent une interdiction pure et simple de la délivrance de visas Schengen, on a des pays comme l’Italie, l’Espagne et évidemment la France

qui ont beaucoup à perdre s’il n’y a plus de touristes russes chez eux.

Je vous donne les chiffres: on a 541000 citoyens russes qui ont visité l’Union européenne en 2024, pour la majeure partie dans les trois pays que j’ai cité.

541000 personnes en 2024, elles étaient 517000 en 2023 donc on n’a pas encore les chiffres de 2025 mais on voit qu’il y a une augmentation entre 2023 et 2024.

même s’il faut évidemment relativiser puisque avant 2021, on avait plus de quatre millions de Russes par an qui visitaient l’Union européenne par an en moyenne.

En tous les cas on voit que le débat est vif, entre différents groupes de pays mais aussi au sein des Etats-membres de l’Union européenne et au sein des institutions communautaires.

En plus de cette stratégie que pourrait proposer la Commission dans un futur proche, on a cette idée qui flotte à Bruxelles d’une taxe de séjour qui serait imposée aux Russes.

On ne les empêcherait pas de venir, mais on les imposerait plus que les autres nationalités.

Et ça pourrait être progressif dans le temps: quelques centaines d’euros pour un séjour d’une ou deux semaines, quelques milliers d’euros milliers d'euros pour un séjour de plus d'un mois

Et dans l’esprit de ceux qui soutiennent cette proposition, les recettes seraient reversées à l’Ukraine.

Il y a aussi la question des tranches d’âge qui est soulevée. Certains mettent en avant que les Russes de moins de 21 ans et les étudiants devraient être exemptés d’une éventuelle interdiction de visas Schengen ou d’une taxe de séjour,

car ils constituent la tranche démographique la plus susceptible d'être « influencée par les valeurs de l'UE »

Mais là-dessus, le nombre relativement faible de Russes demandant l'asile dans l'UE témoigne du fait que peu de ces personnes sont venues pour des raisons de valeurs plutôt que pour leur loisir.

On a 13 345 Russes qui ont demandé l'asile dans l'UE en 2022,

18 895 en 2023

et un peu plus de 10000 l'année dernière en 2024.

Donc si on rapporte 10000 demandes d’asile à 541000 citoyens russes qui ont visité l’UE l’an dernier, c’est très peu, et on voit que les raisons politiques sont une infime minorité des voyages, l’essentiel étant du tourisme.

Voilà en gros, c’est l’état du débat, toutes les questions que j’ai évoqué, tous les problèmes que cela pose et le rapport de force sur la question, entre des Européens qui pensent sécurité et des Européens qui pensent à la fois humanitaire et business.

Moi ce que je pense donc, et que j’avais exprimé dès 2022 à travers des éditos pour La Libre Belgique quand j’y travaillais,

c’est que l’interdiction de délivrance des visas Schengen pour les Russes s’impose à cause du contexte de guerre

pas de gaieté de coeur, mais vraiment comme une mesure de guerre, comme un des instruments pour faire comprendre aux Russes qu’ils sont allés trop loin,

et que leur russky myr n’est pas quelque chose dont ils devraient être fier, étant donné les nombreuses guerres qui ont été déclenchées en son nom ces dernières décennies.

On a vu la manière dont les Russes, en temps que collectif, ont systématiquement perdu la sympathie de peuples de leur étranger proche au cours des années 2000,

des peuples qui leur étaient acquis comme les Ukrainiens, les Moldaves, les Arméniens, et pour perdre les Arméniens il fallait vraiment le faire.

A partir de 2022 il faut élargir la focale et faire comprendre aux Russes qu’ils ne sont plus les bienvenus dans les pays européens parce qu’ils sont allés trop loin,

parce qu’ils ont renversé la table, parce qu’ils détruisent un pays souverain voisin, parce qu’ils menacent, en tant que collectif, la sécurité du continent européen.

L’idée étant ici que ce serait une mesure de guerre, donc quelque chose de temporaire, une des dispositions de la palette de mesures nécessaires pour atteindre des objectifs stratégiques et mettre fin à ce conflit

Depuis 2022 on voit que ça n’est pas fait, pour les raisons que j’ai évoqué et parce que les Européens ne se sentaient pas visés directement par la guerre en Ukraine

Mais avec les violations des espaces aériens européens qui se multiplient des personnes comme Dmitry Peskov ou Sergei Lavrov qui n’arrêtent pas de dire qu’ils sont déjà en guerre contre l’Otan et l’Europe,

peut-être que cette question va revenir sur le devant de la scène, comme celle de l’importation des hydrocarbures russes revient sur le devant de la scène aujourd’hui.

On suivra ça, il me semblait important de faire un point sur ce sujet à la fois politique et de société.

Merci

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