Les Européens sans cartes en main?
L’encre du 17e paquet de sanctions de l’Union européenne contre la Russie est à peine sèche, le paquet a été adopté hier 20 mai
que les Européens préparent déjà le 18e paquet de sanctions, de concert avec les Britanniques
et celui-là, on le crie bien fort à Bruxelles, il va être massif.
Et pourtant, on en doute. Parce que les Européens ont déjà utilisé beaucoup de leurs cartouches avec 17 paquets de sanctions depuis 2022.
Et sans les Etats-Unis, c’est de toutes les manières moins efficace.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on se demande quels sont les moyens qui restent à disposition des Européens pour renforcer leur pression sur la Russie.
Parce que clairement, la guerre ne va pas s’arrêter de si tôt.
Ces derniers jours, on a eu la confirmation que Donald Trump n’imposera pas de sanctions supplémentaires sur la Russie
après son appel de lundi avec Vladimir Poutine, il a même oublié la question du cessez-le-feu
et dans un post sur son réseau Truth social, il assurait qu’il fallait à tout prix qu’il rencontre Vladimir Poutine parce que rien ne pouvait se passer sans qu’ils se parlent,
Mais lundi, il se retirait complètement du processus, en assurant que seule la Russie et l’Ukraine étaient à même de trouver une solution à cette guerre.
Ca fait beaucoup de contradictions, même pour Donald Trump, et on peut en gros considérer que les Etats-Unis sont hors du processus, que ça ne les intéresse plus
ils auront sans doute encore un rôle à jouer mais plus le rôle central des quatre derniers mois - oui, ça fait déjà quatre mois -
et les Russes l’ont bien compris. Le ministre des affaires étrangères Serguei Lavrov a été très explicite aujourd’hui, en assurant que la Russie ne jouera plus le jeu de cessez-le-feu d’abord et on verra ensuite
donc c’est sensiblement la fin de cette séquence, les Américains et les Russes continuent leur dialogue stratégique mais les Américains ne vont plus être intéressés par régler cette situation en Ukraine
Et donc ils vont continuer de ménager la Russie. D’ailleurs ils viennent de s’opposer à une déclaration commune du G7 en soutien à l’Ukraine, parce que la déclaration mentionnait le terme invasion illégale
et que Donald Trump ne veut absolument pas froisser la Russie.
dans les grandes lignes de la pensée trumpienne c’est ça. oublier l’Ukraine et continuer à cajoler la Russie.
Après, cette solution simple soulève beaucoup de questions: par exemple sur la levée des sanctions américaines pour continuer à renouer la relation avec la Russie
sur l’autorisation de vente d’armes à l’Ukraine ou aux Européens
ça pose aussi la question de la réaction de la base conservatrice républicaine: au Sénat, environ 70 sénateurs sur 100 seraient prêts à voter un paquet de sanctions, donc même contre l’avis de la Maison blanche
L’opinion publique américaine aussi peut commencer à se faire entendre, un dernier sondage de Harvard montre que 59% des électeurs inscrits considèrent que Donald Trump est trop mou avec Vladimir Poutine
62% veulent continuer le soutien à l’Ukraine.
Donc on va voir si la Maison blanche peut effectivement se désengager totalement, et comment elle le ferait.
En tous cas les Russes ont l’air de très bien s’en contenter. Dans le scénario idéal, ils auraient aimé que Donald Trump leur offre sur un plateau une victoire qu’ils n’ont pas réussi à obtenir sur le terrain en Ukraine
Mais ils prennent ce qui vient, et si les Etats-Unis se désengagent du processus, c’est aussi nuisible à l’Ukraine et donc bénéfique pour la Russie.
Et peut-être que sur d’autres sujets, les Russes obtiendront plus de concessions.
d’ailleurs dans cette intervention que je mentionnais Serguei Lavrov n’a pas eu de mauvaise parole pour les Etats-Unis cette fois, ce sont les dirigeants européens qu’il a traité d’hystériques
Alors, est-ce que les Européens sont hystériques, je ne crois pas.
Mais ils se sont faits rouler dans la farine par Donald Trump c’est sûr,
et ils se sont roulés tous seuls dans la farine, on peut même dire.
En venant à Kiev et en lançant un ultimatum à la Russie, ils pensaient qu’ils avaient le soutien de Donald Trump, ce qui les a rendu très sûrs d’eux
Mais une fois que les Etats-Unis ont oublié cette idée de cessez-le-feu, les Européens se sont retrouvés sans aucun moyen de faire respecter leurs engagements.
Alors évidemment ils ont promis des sanctions massives en préparant un 18e paquet.
Alors que l’adoption du 17e paquet était déjà prévue. Le 17e paquet, il est passé comme une lettre à la poste, sans que la Hongrie ou la Slovaquie ne bronchent.
et pourquoi? parce qu’il est très faible, ce paquet. A part des sanctions sur 200 navires de la flotte fantôme russe, et des sanctions sur de nouvelles entités et individus en Russie et d’autres pays, il n’y a pas vraiment d’innovation.
Donc pas étonnant que Viktor Orban et Robert Fico ne s’y soient pas opposés.
Et le 18e paquet, celui qui doit être massif, il va consister en quoi?
Suspense, suspense, c’est en préparation, on parle d’énergie, on parle de sanctions financières, on parle de sanctions secondaires
c’est-à-dire autant de recettes qui n’ont pas permis de dissuader la russie de poursuivre son agression, depuis 2022, depuis 2014
et en plus des recettes qui n’ont une certaine efficacité que si elles sont cuisinées de concert avec les Etats-Unis!
Sans le soutien de la première puissance économique mondiale, il est beaucoup plus difficile de faire respecter des sanctions, sachant que c’était déjà très difficile avant
L’Ukraine se retrouve seule avec les Européens, le Canada, le Japon, l’Australie et quelques autres pays mais surtout donc avec les Européens
et s’ils continuent d’adopter les mêmes mesures, on voit déjà que ça ne va pas marcher, ça ne permettra pas de maintenir une pression forte sur la Russie dans la durée qui contraigne suffisamment son effort de guerre
Alors, qu’est-ce que les Européens peuvent faire?
Il y a déjà le renforcement en interne: les 27 viennent tout juste de créer le fonds SAFE, qui est le premier fonds commun pour la défense d’un montant de 150 milliards d’euros
ce qui est énorme
le service d’action extérieure vient aussi d’annoncer qu’il réoriente ses ressources de certains pays vers d’autres pour se concentrer sur l’imposition des sanctions primaires et secondaires
Ce sont des mesures importantes mais qui n’auront des effets que sur le moyen-long terme, et qui ne serviront pas à faire pression directe sur la Russie.
Les Européens vont aussi continuer à livrer des armes et des munitions à l’Ukraine mais on sait qu’il y a certains systèmes américains qui ne peuvent pas être remplacés.
L’arme atomique qui ferait tout de suite mal à l’économie russe, ce serait de faire baisser les volumes d’hydrocarbures consommés de part le monde
mais déjà, convaincre l’Inde, la Chine et d’autres d’arrêter du pétrole et du gaz russe sans le soutien des Etats-Unis, ce n’est pas facile.
Et surtout, l’Espagne, la Belgique, la France, les Pays-Bas achètent plus de gaz naturel liquéfié que jamais à la Russie
pour des raisons économiques, ces pays ne veulent pas y renoncer
et pour des raisons politiques, la Hongrie et la Slovaquie continuent d’acheter du pétrole, qui transite à travers l’Ukraine d’ailleurs.
Pour que ces pays européens arrêtent de financer l’effort de guerre russe, parce que c’est de ça dont on parle, il faudrait un vrai changement de paradigme.
De même, pour saisir et utiliser les 200 milliards d’euros d’actifs russes gelés en Belgique.
on voit que ça bouge sur cette question, et cet argent pourrait en effet être utilisé pour soutenir l’Ukraine
mais c’est lent, et ça reste incertain.
Donc continuer avec les sanctions, ça ne va pas être suffisamment efficace
Renforcer les capacités européennes et ukrainiennes sur la durée, très bien, mais ça n’affaiblira pas la Russie demain ou après-demain
Les vraies solutions seraient des changements de logiciel: arrêter d’acheter des hydrocarbures ou saisir l’argent russe gelé
et évidemment envoyer des troupes en Ukraine
donc là pas dans le cadre de l’Union européenne à 27 mais d’un petit groupe de pays
Des troupes au sol ou une force de protection de l’espace aérien, une force de réassurance ou une force d’interposition, ça on a plusieurs options et toutes ne mènent pas, contrairement à ce qu’on dit, à une confrontation directe avec la Russie
mais en tous les cas franchir ce Rubicon ça enverrait le message que les Européens se donnent enfin les moyens de faire respecter leurs ambitions politiques de soutenir l’Ukraine.
et ça deviendrait un état de fait, une situation de facto que les Russes devraient prendre en compte
parce que là, qu’est-ce qu’il s’est passé dans ces quatre mois de cirque diplomatique?
les Européens ont soutenu un cessez-le-feu pour après envoyer une force de maintien de la paix
ce à quoi Poutine ne pouvait pas consentir puisqu’il savait qu’en cas de cessez-le-feu, il aurait des troupes européennes en Ukraine
alors que si les troupes européennes sont déployées directement, sans demander à quiconque, comme les Nord-Coréens l’ont fait sans complexe
alors ça s’imposera comme une réalité sur le terrain et les Russes devront en tenir compte.
et peut-être qu’ils commenceront enfin à prendre les Européens au sérieux ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui
et ce qui est un des enjeux de la séquence actuelle: que les Européens gardent le peu de crédibilité qu’il leur reste
et je ne crois pas que promettre un énième paquet de sanctions massives qui fera suite à 17 paquets de sanctions massives qui n’ont pas eu d’impact suffisant, ça les aide réellement.
Merci