Poutine va-t-il déclarer la guerre à l’Ukraine?
La Russie va-t-elle déclarer la guerre à l’Ukraine dans un futur proche?
En le disant comme ça, ça paraît contre-intuitif, étant donné que l’état de guerre est bien établi depuis le 24 février 2022, et qu’une situation de guerre prévaut depuis le 20 février 2014.
Mais on le sait, ni Kyiv ni Moscou n’ont officiellement déclaré un statut de guerre pour des raisons qui leur sont propres.
Pourtant, après le succès de l’opération Toile d’araignée contre des bases aériennes militaires russes, le Kremlin serait soumis à une certaine pression de milieux militaires et ultra-nationalistes russes pour déclarer formellement la guerre à l’Ukraine.
Mais en fait, qu’est-ce que ça changerait?
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on regarde un peu cette question de la déclaration de guerre et ce qu’elle pourrait changer en Russie au niveau économique, au niveau de la mobilisation, et au niveau diplomatique.
Tout d’abord, il faut rappeler que les déclarations de guerre ne sont pas vraiment populaires dans les relations internationales.
Elles l’étaient plus jusqu’à la seconde guerre mondiale, mais la charte des Nations unies de 1945 a rendu la guerre illégitime et illégale hormis quelques exceptions
ce qui fait que les Etats ont plutôt recouru à des stratagèmes pour éviter d’avoir à prononcer le mot guerre.
Et ça a commencé tout de suite: malgré 3 millions de morts au moins pendant la guerre de Corée entre 1950 et 1953, ni les Etats-Unis, ni la Chine, ni l’URSS ne s’étaient déclarés officiellement la guerre
Selon l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève, il y a actuellement 110 conflits armés qui sont actifs à travers le monde
parmi eux, un certain nombre qui sont des conflits interétatiques avec des situations de guerre bien documentés, passant notamment par le déploiement d’une armée étrangère sur le sol d’un pays souverain et l’occupation de celui-ci
ou encore des affrontements entre armées régulières et des pressions sur des populations civiles.
Mais en termes de déclaration de guerre, on en a moins d’une dizaine.
Après, ne pas déclarer la guerre officiellement, ça n’empêche pas de signer des accords de paix en bonne et due forme, comme on l’a vu vendredi 27 juin entre le Congo et le Rwanda.
Si je reviens à l’Ukraine, la question se pose depuis 2014, depuis l’annexion de la Crimée et le début de l’intervention russe dans le Donbass.
L’Ukraine est en guerre depuis 11 ans, mais n’a pas déclaré la guerre à la Russie.
D’abord parce que le pays n’y était pas prêt en 2014, que les autorités n’ont pas tout suite saisi la réalité de l’agression russe,
et aussi que le passage à un statut de guerre aurait impliqué loi martiale, mobilisation générale, restrictions commerciales, contrôle de l’Etat sur les flux financiers, etc.
L’opportunité n’a pas été saisie en 2014, ce qui fait que le quiproquo s’est poursuivi pendant des années,
d’abord sous la forme d’un statut d’opération anti-terroriste puis de zone d’opération militaire
Ne pas déclarer la guerre à la russie a aussi donné du temps aux Ukrainiens pour découpler leur économie et leurs approvisionnements énergétiques de la Russie
ce qui aurait été beaucoup plus brutal si cela avait été fait d’un coup en 2014.
En 2022, la situation était différente. Dès le 24 février, Volodymyr Zelensky, son gouvernement et le Parlement ont rompu les liens diplomatiques avec la Russie et ont instauré la loi martiale
deux attributs d’un pays en état de guerre. Mais le Président n’a toujours pas déclaré formellement un statut de guerre.
ça, les juristes l’expliquent ici par la coopération de l’Ukraine avec les institutions internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et autre: si le pays était officiellement en guerre, cela nécessiterait quelques ajustements quant à la réception et au remboursement de l’assistance financière
il en va de même pour le processus d’adhésion à l’UNion européenne, il serait un peu plus compliqué si l’Ukraine était officiellement en guerre.
et vu que la situation de guerre est reconnue de par le monde, le besoin est moins pressant.
En Russie, la logique est différente. D’abord le Kremlin a nié sa participation à la première phase de la guerre entre 2014 et 2022
La Crimée, c’était un vaste mouvement populaire pour rejoindre la fédération de Russie avec enthousiasme qui n’a enfreint aucune norme internationale et les 20000 soldats russes qui ont occupé la péninsule étaient là en touristes presque
et le Donbass ce n’était qu’une guerre civile, et la Russie a toujours nié avoir encouragé, encadré, instrumentalisé, soutenu, approvisionné et aidé directement en certaines occasions les républiques fantoches de Donetsk et de Louhansk.
A partir du 24 février 2022, ça n’était plus possible de rester sur cette ligne.
Alors Vladimir Poutine a lancé une opération militaire spéciale
en la présentant comme une simple opération de police, en tout cas comme une affaire interne à la Russie
et surtout en pensant qu’elle serait très brève.
On le sait, ça ne s’est pas passé comme ça, et peu à peu la réalité d’une guerre longue s’est imposée même aux Russes qui ont commencé à utiliser le terme de guerre
Par exemple en mars 2024, Dmitry Peskov le porte-parole du Kremlin a assuré que l’opération militaire spéciale était devenue une guerre avec le temps
bon selon lui c’est à cause de l’implication des Occidentaux, ce qui permettait d’alimenter le discours du Kremlin de: ce n’est pas notre faute, c’est à cause des autres qu’on est en guerre, ce qui est évidemment très contestable.
Malgré ce glissement du discours officiel, le Kremlin n’a pas déclaré officiellement la guerre.
Mais après l’opération Toile d’araignées du début juin, un certain nombre de groupes dans les milieux militaires et ultra-nationalistes russes demandent du Kremlin qu’il procède à une déclaration de guerre.
On le voit sur les réseaux sociaux, on le voit aussi sur les plateaux télé, et ça a été synthétisé par un article de The Telegraph à la mi-juin
voilà qui permettra, selon ceux qui le demandent, d’intensifier les opérations militaires et les bombardements aériens, ainsi que d’utiliser potentiellement des armes nucléaires tactiques.
L’état officiel de guerre permettrait d’achever la réorientation complète de l’économie vers une économie de guerre, avec réquisitions d’usines, impôts spéciaux, contrôle accru des flux financiers, et ainsi de suite.
Mais pour être honnête, la situation de facto est déjà celle d’une économie de guerre, donc ça ne changerait pas grand chose à part créer un choc de plus dans le public russe qui est aujourd’hui détaché de la guerre, notamment à Moscou et Petersbourg.
Là où cela changerait quelque chose, c’est sur la capacité de mobilisation générale que l’état de guerre procurerait.
Le Kremlin pourrait enfin recruter beaucoup plus largement, et sans avoir à distribuer des compensations financières et des salaires importants qui coûtent très cher à l’économie russe
Mais ce qu’il faut voir, c’est que d’une part, ça coûte cher mais ça rapporte aussi, car ça entretient artificiellement l’économie,
et pour l’instant, l’armée russe n’a pas de gros problème d’effectifs puisque malgré des pertes importantes, elle parvient toujours à recruter et à former de nouveaux soldats.
Ce n’est vraiment pas son pire problème.
Déclarer formellement l’état de guerre aurait aussi un impact sur la scène diplomatique puisque ce serait perçu comme une escalade par les Américains et les Européens,
bien que cette notion d’escalade elle ne veut plus rien dire, l’acte d’escalade s’est passé le 24 février 2022 et tout ce qui se passe depuis n’est qu’une suite logique de la guerre.
Mais sans aucun doute ça ferait tilt dans la tête de Donald Trump et il ne serait pas content -
Et même si les Russes ne s’en préoccupent pas trop, ils cherchent quand même à conserver des bonnes relations avec cette Maison blanche qui partage beaucoup de leur vision du monde.
Assez probablement, le Kremlin n’est pas prêt à déclarer la guerre à la Russie,
certains analystes en Russie assurent même que la situation lui convient très bien, cette guerre d’attritition qui maintient sa population soit mobilisée, soit apathique
et qui continue à lui offrir des perspectives de victoire sur le terrain ukrainien.
Et en Russie, c’est l’inverse qui s’est passé d’ailleurs. Après le choc de l’opération toile d’araignées et les appels à déclarer officiellement la guerre, le Kremlin a plutôt cherché à tempérer.
Tout dernièrement, Vladimir Poutine a même annoncé une baisse des dépenses militaires comme une projection en miroir des Etats-membres de l’Otan qui viennent d’adopter un objectif de 5% de leurs PIB à consacrer aux budgets de défense.
Vladimir Poutine cherche à minimiser l’impact de la guerre sur son propre pays et à projeter une image de confiance et de force,
c’est très classique, et c’est assez cynique étant donné qu’en 2024 les dépenses de défense de la Russie étaient plus importantes que tous les budgets de la défense des pays européens mis ensemble
mais en l’occurrence, ça montre surtout que le Kremlin n’est pas sur le point d’adopter un état de guerre.
Mais si les Ukrainiens en venaient à lancer d’autres attaques du type Toile d’araignées, peut-être que cette situation changerait et que le Kremlin devrait se saisir des outils offerts par l’état de guerre.
Merci!