Une loi historique
Le Parlement ukrainien, la Verkhovna Rada, a passé une décision historique aujourd’hui 18 juin
243 députés sur 305 votants ont adopté en deuxième lecture une loi autorisant les Ukrainiens à détenir des citoyennetés multiples
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on parle de la fin d’un serpent de mer de la politique ukrainienne,
et d’une mesure majeure pour entretenir ou restaurer des liens entre les millions d’Ukrainiens dispersés à travers le monde.
Serpent de mer parce que la possibilité pour les Ukrainiens d’avoir une double citoyenneté ou une citoyenneté multiple, elle se pose en gros depuis l’indépendance en 1991.
Parce que vous le savez, les terres qui composent aujourd’hui l’Ukraine sont des terres d’émigration
et ce depuis le 19e siècle.
Au fil de périodes d’émigration, que ce soit pour des raisons économiques ou politiques, la diaspora ukrainienne est devenue l’une des plus importantes au monde
même s’il est parfois difficile de l’estimer correctement à cause de questions d’identification, entre les héritages mélangés polonais, russe, juif et autres.
La fourchette la plus commune, c’est entre 12 et 20 millions de personnes à travers le monde qui peuvent se revendiquer d’une ascendance ukrainienne
sachant que la plus importante diaspora au monde référencée par l’ONU, c’est celle des Indiens d’Inde, estimée à environ 18 millions de personnes en 2019.
Donc ce ne sont que des estimations, mais ça vous permet de vous faire une idée
Malgré cela, l’élite politique ukrainienne s’est toujours refusée à adopter une loi permettant la double citoyenneté ou la citoyenneté multiple.
D’abord c’était en raison de la consolidation du système oligarchique: les nouvelles fortunes d’Ukraine ne voulaient pas se faire embêter par des Ukrainiens de l’étranger qui arriveraient avec leurs capitaux pour les concurrencer
il y a aussi eu beaucoup d’attentisme de la part des gouvernements post-soviétiques qui soit ne voyaient pas l’intérêt de la mesure, soit avaient peur que ça complique le jeu électoral
et puis, à partir de 2014, les obstacles sont devenus géopolitiques, parce que l’élite politique ukrainienne ne souhaitait pas que des Ukrainiens de Russie ou du Bélarus obtiennent la citoyenneté
quand il est arrivé au pouvoir en 2019, Volodymyr Zelensky a voulu en faire une mesure phare de sa présidence et de sa volonté d’unir les Ukrainiens sous un même toit
mais ses projets de loi sont restés lettre morte
et ce n’est qu’aujourd’hui, le 18 juin 2025, 6 ans après l’entrée en fonction de Volodymyr Zelensky que le Parlement a finalement adopté cette loi.
Vous vous imaginez le long cheminement.
Alors pourquoi maintenant?
D’abord parce que les parlementaires sont enfin arrivés à un projet qui a fait consensus
c’est à dire un projet qui ouvre la porte aux Ukrainiens de l’étranger
mais aussi qui permet de définir un procédé d’obtention de la citoyenneté qui soit carré, avec des tests de langue, d’histoire ou encore sur la Constitution du pays.
La loi s’applique à environ 90% des Ukrainiens qui vivent à l’étranger, les 10% restant sont ceux qui détiennent la citoyenneté de pays considérés comme hostiles: évidemment la Russie et le Bélarus, mais aussi l’Iran, la Corée du nord
je ne sais pas combien d’Ukrainiens il y aurait en Corée du nord mais bon
et évidemment tous les pays qui en viendraient à soutenir l’invasion russe.
Pour ces Ukrainiens de l’étranger, obtenir ou redemander la citoyenneté ukrainienne n’est pas impossible, mais c’est plus compliqué et ça va se décider au cas par cas.
De toutes les manières, la liste des pays hostiles est un critère politique, et donc arbitraire, évolutif, et ça va sans doute poser des questions par la suite
ça en pose d’ores et déjà, puisque la diaspora ukrainienne en Russie est vraiment conséquente,
regardez cette carte du recensement soviétique de 1979, où l’on voit la part des Ukrainiens dans les régions de la république socialiste soviétique de Russie,
on voit qu’ils ont beaucoup essaimé, jusqu’à être 10% dans l’Oural et 15% en Choukotchka, dans l’extrême-orient.
Va aussi se poser la question des Ukrainiens qui ont émigré vers la russie depuis 2014 et depuis 2022
Et ceux qui vivent dans les territoires occupés et qui ont obtenu désormais, de gré ou de force, un passeport russe
si la guerre s’arrêtait demain, on saurait encore identifier les situations personnelles
mais si l’occupation dure des dizaines d’années, et qu’à, un moment il faut régulariser les situations d’enfants ou de petits enfants d’Ukrainiens…
On ne peut qu’imaginer la complexité
Mais donc j’y viens, c’est clairement la situation démographique actuelle qui a motivé les parlementaires à enfin en finir avec cette question de la citoyenneté multiple.
J’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur cette chaîne, les projections sont désastreuses pour l’Ukraine, qui pourrait passer de 52 millions d’habitants en 1991, à son indépendance
à 15 millions en 2100 selon les estimations de l’ONU
L’Ukraine affiche un des taux de natalité les plus faibles du monde et un des taux dee mortalité les plus forts du monde.
Alors ressouder les liens avec les Ukrainiens de l’étranger, c’est vital,
en particulier avec les Ukrainiens qui sont partis en 2022, entre 6 et 8 millions de personnes vers des pays européens majoritairement
Après 3 ans, ils ne pensent plus forcément revenir, leurs enfants sont scolarisés dans leurs pays d’accueil, ils ne voient plus forcément leur avenir dans une Ukraine toujours en guerre.
La citoyenneté multiple est un premier pas vers cette union des Ukrainiens à travers le monde.
Et on a vu dans les cas de l’Irlande, ou de l’Italie, à quel point mobiliser leur diaspora avait permis d’attirer des investissements et de dynamiser l’économie de ces pays
ce sont des cas d’école.
L’Ukraine n’en est qu’au premier pas. Parce que pour qu’une politique de diaspora fonctionne, elle doit s’accompagner d’une politique culturelle, économique, de facilités pour investir, acquérir du foncier ou de l’immobilier, s’établir, étudier…
c’est une politique très complexe, et qui, si elle est mise en place, ne sera vraiment efficace qu’une fois les hostilités achevées, d’une manière ou d’une autre.
Donc voilà, un jour historique pour l’Ukraine et les Ukrainiens, mais seulement le début d’un long processus.
Merci