Les Russes à Pokrovsk, Koupiansk et Vovchansk
Après des mois d’infiltration par des petits groupes de reconnaissance ou d'assaut, les forces russes semblent bien ancrées dans les villes de Pokrovsk, Koupiansk et Vovchansk.
Trois villes qui ne sont pas encore tombées, et le contrôle de tel ou tel quartier est plus qu’aléatoire,
Mais en tout les cas ça montre que les Russes continuent d’avancent, continuent de grignoter,
et si l’on prend en compte la nature de cette guerre, leur offensive d’été n’a pas abouti, mais elle n’est pas non plus un échec irrémédiable que ça.
Cet hiver, on peut s’attendre à pas moins de sept batailles urbaines à différents endroits du front.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où j’aimerais aller un peu à contre-courant des annonces que l’on a pu entendre ces dernières semaines,
concernant l’échec de la contre-offensive russe de cet été
c’est assez tonitruant, ça vise évidemment à mettre en évidence les failles de l’armée russe et de la Russie en règle générale,
et il y en a beaucoup, que ce soit les pénuries d’essence, l’économie qui va mal, les réserves financières qui s’appauvrissent,
maintenant on commence aussi à avoir des doutes sur la capacité des Russes à recruter pour compenser leurs pertes,
on voit que plusieurs régions ont réduit les niveaux des salaires et des primes offerts aux recrues.
Donc il y a beaucoup de faiblesses.
Mais elles sont tout aussi flagrantes côté ukrainien, et le fait qu’ils soient encore occupés à réduire le saillant entre Pokrovsk et Dobropilliya est autant une preuve de leur capacité à contenir cette percée
que de leur incapacité à le prévenir et à le faire disparaître.
Donc, je vais démonter ce discours un peu narquois vis-à-vis des offensives russes
et ensuite parler de la situation plus concrètement à Pokrovsk, Koupiansk et ailleurs.
C’est vraiment un article de The Economist qui m’a mis en rogne.
Selon le magazine, la saison a été la plus désastreuse pour la Russie depuis 2022. Beaucoup d'efforts, encore plus de pertes, qui sont ici estimées grâce à ce graphique,
je ne plonge pas dedans parce que les estimations de pertes c’est tout à fait bancal.
En tout cas, tous ces efforts pour des gains représentant 0,4% du territoire ukrainien.
Même Pokrovsk, ville d'à peine 60.000 habitants avant 2022, n'a pas été conquise. Tout cela est vrai, admis sur les plateaux de TV russes, et traduit l'attrition des forces d'invasion.
encore une fois, cette attrition n’a d’égale que celle des défenseurs ukrainiens. La question étant: lequel des deux restera debout 10 secondes de plus que l’autre.
Mais malgré tout, les Russes ont avancé, ils ont grignoté et les Ukrainiens sont sur le recul. Comme j’ai dit ils n’ont même pas fini de réduire ce saillant entre Pokrovsk et Dobropilliya qu’ils n’avaient pas su empêcher à la base.
Et dans l’oblast de Dnipropetrovsk, la situation n’est pas meilleure vu que les Russes avancent à travers champ à un rythme soutenu.
Mais c'est l'estimation temporelle de The Economist qui me pose problème.
Le magazine estime qu’à un rythme constant, il faudra 103 ans pour conquérir toute l’Ukraine.
Ce qui est une estimation faite pour ridiculiser l'adversaire et nous réconforter, genre
il n'y arriveront jamais, en tout pas de notre vivant. Et dans l'intervalle, il se passera qqc, Poutine mourra et on passera à autre chose.
C’est absurde, c’est une projection qui ne prend pas en compte l’attrition des forces, qui ne prend pas en compte la donnée des ressources humaines qui ne sont pas infinies, d’un côté ou de l’autre,
ou qui ne prend pas en compte les phénomènes d’amplification qui ont lieu grâce à certaines batailles.
Par exemple si les Russes prennent Pokrovsk, il est évident qu’ils avanceront plus rapidement après car il n’y aura plus d’obstacle urbain sur leur chemin avant Petropavlivka et Pavlograd.
Si / quand il ne restera que la Transcarpatie à conquérir, le rythme de l'avancée russe sera bien différent de celui dans l'oblast de Donetsk, parce que l'Ukraine aura une résistance bien différente à opposer.
Je trouve ce genre d’estimation et de discours médiatique très dangereux car ça vise à nous permettre à nous, spectateurs de ce conflit plus ou moins impactés, de se complaire comme ça dans l'idée que les Russes sont des bouffons qui n'y arriveront tout simplement pas.
Un peu comme un Rutte qui appelerait à "ne pas prendre les Russes trop au sérieux".
Comme s'ils n'étaient pas à la manoeuvre depuis une vingtaine d'années pour saper les bases de la sécurité du continent européen, de l'alliance atlantique, de nos modèles politiques et économiques. Comme si la Chine n'était pas derrière.
Comme s'ils allaient continuer à avancer en Ukraine comme dans un niveau de jeu vidéo, avant d’être autorisés à passer au niveau suivant et de lancer une agression ailleurs.
Ce genre d'estimation n'apporte rien d'autre qu'un confort mental puéril, qui, on le constate ces dernières années, ne fait que nous dissuader de nous préparer, et ne fait que se retourner contre nous.
Et dans l’immédiat, ça nous empêche de voir clair: on se complaît dans l’idée que Pokrovsk n’est pas encore tombée, que Vladimir Poutine avait donné l’ordre à ses soldats de prendre le Donbass avant la fin de l’année,
on voit clairement que ça n’est pas possible dans les deux mois qui restent donc on se dit, ouf, ça n’est pas si terrible que ça et peut-être que l’Ukraine n’a pas besoin d’autant de soutien si elle arrive à se défendre si bien toute seule.
Mais les Russes sont bel et bien à Pokrovsk, Koupiansk et Vovchansk. Sur ces trois fronts, l’Ukraine n’a fait que reculer ces derniers mois
et des dispositifs de défenses qui paraissaient ultra-solides ont été percés.
Ca n’est pas nouveau en soi, des éléments russes étaient déjà présents dans Pokrovsk depuis juin, dans Koupiansk depuis août et dans la partie sud de Vovchansk depuis septembre.
Mais présence ne voulait pas dire consolidation ou contrôle pérenne
En effet, la plupart de ces zones de présences étaient le fait de petits groupes de soldats derrière les lignes
entrés en se faufilant entre les positions ou via un pipeline comme à Koupiansk.
Aujourd’hui, on parle de consolidation de leur présence, on voit qu’il s’agit de quelque chose de bien plus structurel que des groupes d’infiltration.
Mais la situation reste extrêmement confuse à Pokrovsk par exemple on peut avoir des Russes au nord et des Ukrainiens au sud
et l’inverse le lendemain
donc c’est vraiment très différent des batailles urbaines des deux années dernières, à Bakhmout, Avdiivka ou Vulhedar qui avaient chacunes leurs logiques propres mais qui étaient plus simples à suivre.
que ce soit là où ailleurs, la question pour les Ukrainiens consiste à savoir s’extirper de ce guêpier à temps, pour économiser leurs hommes
à partir du moment où ils ne peuvent pas inverser la tendance, et visiblement ils ne peuvent pas, il leur faut prendre une décision raisonner pour épargner leurs forces
On verra.
En tous les cas, en plus de ces trois villes qui sont désormais phagocytées et contaminées, on voit que les Russes se rapprochent de Kostiantynivka, Siversk, Lyman et Myrnohrad.
En tout, l'hiver 2025-2026 pourrait voir 7 batailles urbaines.
Donc oui, les Russes accusent beaucoup de pertes matérielles et humaines et leurs progrès territoriaux ne sont pas exceptionnels pour ce que l’on considérait il y a quelques années comme la 2nde armée du monde,
L’Ukraine ne va pas s’effondrer du jour au lendemain, et il est tout à fait possible que l’effort offensif russe se relâche à un moment donné,
mais la tendance est réelle: les Russes avancent et on ne peut pas, comme le dit Mark Rutte, ne pas les prendre au sérieux
on ne peut pas non plus attendre une solution miracle à ce conflit, par la parole performative de Donald Trump ou un évènement exogène.
Je vois cet article, et j’en terminerai par là, sur le nouveau livre de Jens Stoltenberg, l’ancien secrétaire général de l’Otan, qui regrette que l’alliance a failli à ses engagements en 2023-24,
que les Etats-membres ont retardé les livraisons d’armes à l’Ukraine, n’ont pas aidé suffisamment ou pris des décisions plus fermes.
On en voit les résultats aujourd’hui, et si ce genre de manquement des pays européens se poursuit, si les Européens se confortent dans cette idée qu’il faudrait 103 aux Russes pour conquérir toute l’Ukraine, la situation ne peut pas s’améliorer d’elle-même.
Merci