"On ne sait jamais d'où viendra la balle"

Des soldats russes exécutés, torturés, battus à mort, obligés de se battre entre eux jusqu’à ce que mort s’ensuive ou tout simplement rackettés.

Et tout cela, par leurs officiers et la complicité de leur hiérarchie.

On connaît depuis au moins les guerres de Tchétchénie les pratiques de brutalité au sein de l’armée russe, et on a beaucoup d’exemples depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine en 2022.


Mais une nouvelle enquête d’un média russe indépendant lève le voile sur des pratiques pas systémiques mais très répandues, et qui continuent

Alors parlons-en.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où je reprends l’enquête du média indépendant Verstka

qui est un média fondé en 2022 par des anciennes de la chaîne de télé Dozhd pour faire face aux attaques du Kremlin contre la liberté de la presse.

Depuis, Verstka s’est spécialisé dans les enquêtes liées à la guerre russe contre l’Ukraine.

Cette enquête met en lumière sur des pratiques particulièrement brutales.

Vous avez remarqué que sur cette chaîne, je ne me hasarde pas trop à parler des rapports de pertes humaines et je ne parle que très rarement des cas très particuliers de torture, d’exécutions sommaires et d’autres crimes de guerre,

parce qu’on est dans le contexte d’une guerre existentielle pour l’Ukraine en tant qu’Etat souverain et pour la Russie en tant que régime impérialiste,

on est embarqués dans une guerre de l’information, de désinformation, une guerre contre l’information et la vérité,

Mais en l’occurrence, cette enquête de Verstka s’appuie sur des centaines d’entretiens avec des soldats, victimes ou témoins, leurs familles, et l’épluchage de près de 29.000 plaintes qui ont été portées à la connaissance du procureur militaire dans les six premiers mois de l’année 2025.

Le fait qu’il y ait ces plaintes montrent qu’un système d’alerte existe et qu’en principe il devrait mener à des sanctions

mais l’enquête révèle plutôt un système qui baigne dans l’impunité, même s’il n’est pas étendu à l’ensemble des forces armées russes, j’y reviendrai.

Au sein des forces armées ukrainiennes, on a documenté de nombreux cas de conflits entre des soldats et leurs supérieurs, d’affrontements violents ou d’abus,

notamment des commandants qui condamnaient certains de leurs hommes à des travaux forcés, même pour se faire construire une maison dans une région de l’ouest de l’Ukraine.

On a aussi des gros soucis pour tenir responsables des officiers qui donnent des ordres inconsidérés ou qui exposent leurs troupes à des risques évitables.

Mais on n’a pas de récits de cette nature.

En l’occurrence, l’enquête raconte des dizaines de cas de traitement extrêmement violents de quelques officiers envers leurs soldats.

C’est que les sources de Verstka dénomment la pratique du обнуление, littéralement la suppression, la liquidation, l’effacement

Un homme refuse de prendre part à un assaut suicide: il est soit envoyé vers les lignes ukrainiennes sans arme ni gilet pare-balles, soit battu et laissé pour mort, soit exécuté sur place.

Un soldat est ivre, soit qu’il boive dans les tranchées ou qu’il n’a pas encore décuvé après son retour de permission: il peut être executé.

Un soldat est en conflit avec son officier supérieur ou décide de retourner vers ses lignes après l’échec d’un assaut: il peut être tué à distance par des tueurs d’élite russe, à bout portant par son supérieur ou même abattu par drone

même si la pratique d’utiliser les drones pour ces règlements de compte est très rare, parce que ça coûte très cher.

Un des témoins cité par Verstka utilise cette phrase: “on ne sait jamais d’où va venir la balle, soit du côté ukrainien soit du notre”.

Les meurtriers savent que ce qu’ils font est illégal, puisqu’ensuite ils cherchent à maquiller leur crime en laissant décomposer les corps afin de rendre impossible tout autopsie ou en les disposant sur le champ de bataille,

ou tout simplement à faire disparaître les cadavres en les faisant exploser à la grenade ou en les faisant couler dans une rivière, s’il y a une rivière à proximité.

Les meurtres sont ensuite soit répertoriées comme des morts au combat, soit comme des disparus ou déserteurs

c’est d’ailleurs comme ça qu’ils sont déclarés en majorité car de cette manière, les familles ne peuvent pas prétendre aux indemnités et compensations prévues en cas de mort au combat.

L’argent est une grande motivation de ces exécutions extra-judiciaires, en plus des conflits personnels et d’une imposition très particulière d’une discipline militaire.

Verstka raconte comment certains officiers font payer la participation ou la non-participation à certaines opérations risquées ou assauts suicides.

le soldat peut payer: il y échappe cette fois-ci. Il ne peut pas: il est envoyé en première ligne, battu à mort ou jeté dans un trou pendant des jours, sans forcément avoir à manger ou à boire.

dans ces trous, on force aussi des soldats à se battre les uns contre les autres, parfois jusqu’à la mort.

Les officiers rackettent ainsi leurs troupes, par exemple en collectant les numéros de carte bancaire et codes secrets avant de les envoyer à l’assaut.

Verstka parle de plusieurs commandants qui se sont amassés de petites fortunes.

et de plusieurs soldats qui ont été rackettés et qui commencent ensuite à racketter les autres pour se refaire.

Il y a plusieurs dizaines d’anecdotes qui sont citées dans l’enquête, je vous le mets dans la description de la vidéo et je vous laisse lire tout ça

Ce sont des cas qui cncernent plusieurs unités de l’armée russe, mais qui ne sont pas généralisées

Verstka cite aussi des représentants d’autres unités qui n’ont eu affaire à aucun cas de ce type, et qui considèrent ces abus comme des exceptions

justifiées soit par le sadisme, soit par la corruption, soit par le besoin de discipline dans des unités comprenant des anciens prisonniers et donc très difficiles.

Quoiqu’il en soit, Verstka confirme que les centaines de plaintes qui sont déposées au procureur militaire ne débouchent sur rien ou presque, soit parce que les officiers bénéficient de complicités haut placées,

soit parce que les plaignants se confrontent à une omerta en période de guerre, pour ne pas parler de ces sujets qui fâchent et discréditer les forces armées, comme le veut l’expression consacrée qui désigne un crime et qui est puni par la loi.

Mais si les autorités refusent d’ouvrir ces dossiers maintenant, il y a de grandes chances qu’ils ne soient jamais ouverts, à en juger par les précédents de Tchétchénie, Géorgie, Syrie, Ukraine ou encore de plusieurs pays africains.

Ce qui fait que Verstka conclut son enquête avec des citations de victimes qui affirment qu’elles se feront elles-mêmes justice, en traquant leurs bourreaux plus tard.

L’un d’entre eux parle même de guerre interne qui sera provoquée par la démobilisation de dizaines de milliers de soldats traumatisés, handicapés, torturés,

cette idée de guerre civile c’est un peu un fantasme que l’on voit ressurgir à la fin de chaque conflit, on parle de la même chose au sujet des vétérans ukrainiens, ou en l’occurrence c’est porté par ceux qui voudraient voir la Russie imploser sous le coup de tensions internes.

Ca, c’est du fantasme à l’heure actuelle. En revanche, on peut être à peu près sûr que ces pratiques, répandues mais pas généralisées, connues mais pas punies,

vont continuer d’entretenir une diffusion de la violence dans la société russe

Beaucoup de chercheurs l’ont mis en évidence, je fais encore une fois référence à Anna Colin Lebedev dans son ouvrage “jamais frères”, que évidemment je recommande:

Elle explique comment la violence et la brutalité du service militaire ou des expériences de conflit infusent ensuite dans la société, à travers la violence conjugale, la criminalité, le système carcéral, le tout avec plus ou moins d’impunité.

ce qui, dans son livre, marque une différence fondamentale entre la Russie et l’Ukraine, puisqu’en Ukraine, il n’y a pas eu de guerre jusqu’en 2014

et les cas de violence et pratiques brutales ont été de plus en plus dénoncés et punies dans le cadre d’un effort collectif de rejet de ces pratiques et d’européanisation du pays.

Evidemment aujourd’hui c’est moins vrai, et l’UKraine aura à faire face à de nombreux défis avec ses vétérans après-guerre, déjà aujourd’hui en fait.

mais dans les forces armées ukrainiennes, on n’a pas de cas aussi brutaux et mortels que ceux décrits dans l’enquête russe de Verstka.

C’est une composante du conflit essentielle à avoir en tête, et c’est très précieux d’avoir ce travail minutieux de journalistes d’investigation pour jeter la lumière sur ces phénomènes.

Merci à vous

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