Révolution dans le rail ukrainien

L’Ukraine vient de connaître une petite révolution dans le secteur du transport ferroviaire.

Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, une ligne de chemin de fer à écartement européen, et non russe ou soviétique, a été inaugurée entre les villes de Tchop et d’Oujgorod

ce qui permet dès aujourd’hui des voyages directs, sans changement d’écartement, depuis cette ville de Transcarpatie jusqu’à Bratislava, Budapest et Vienne.

Cette européanisation du réseau ferroviaire est très désirée en Ukraine, et cette inauguration n’en est que la première étape,

alors parlons-en.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on parle d’un sujet qui n’est pas directement lié à la guerre russe contre l’Ukraine mais qui a été accéléré par la guerre

c’est à dire la construction de lignes de chemin de fer à écartement de 1435mm qui est la norme standard en Europe

et qui est différente de la norme russe et soviétique d’un écartement de 1520mm

D’où vient cette différence dans les écartements?

de la révolution industrielle, quand les industries du chemin de fer se sont développées dans différents pays et différents contextes.

En tout à travers le monde on compte plus d’une trentaine de types d’écartements différents, allant de 305mm sur une ligne au nord de Londres

à 9 mètres pour le plan incliné de Krasnoïarsk en Russie, destiné au transport de bateaux

L’écartement que nous connaissons en France est de 1435mm, on l’appelle l’écartement standard qui est utilisé aussi en Chine comme vous le voyez ici

mais dans notre contexte, on l’appelle l’écartement européen.

Il y a beaucoup de subtilités en fonction des pays:

L’écartement de la péninsule ibérique est différent de celui du continent: on cite très souvent des raisons militaires, que les Espagnols voulaient se prévenir des invasions françaises après les mauvais souvenirs de l’époque napoléonienne.

Mais il s’agit d’abord et avant tout d’une décision technique qui a été prise en 1844 après une étude du relief escarpé de la péninsule ibérique

qui a motivé les ingénieurs à adopter un écartement plus large de 1668mm, pour des locomotives plus grosses pour franchir les fortes pentes

les raisons militaires ont sans doute joué un rôle mais elles n’expliquent pas tout, sinon la France aurait adopté un écartement de voies différents de celui de l’Allemagne

En Russie, la décision d’un écartement à 1520mm date aussi du 19e siècle, c’était un choix technique avant tout, d’ailleurs effectué par un ingénieur américain, Georges Whistler, pour construire la ligne Moscou - Saint Petersbourg en 1842.

Il y a évidemment des considérations politiques et militaires, on cite très souvent l’exemple de l’armée nazie qui a changé l’écartement des rails sur les territoires soviétiques conquis à partir de 1941 pour faciliter sa logistique

et évidemment ça a été suivi par les travaux de ré-aménagement soviétiques pour remettre tout le réseau à un écartement de 1520mm après 1945.

ce qui a concerné, et donc j’y arrive, le réseau de l’ouest de l’Ukraine qui n’avait pas été russe ou soviétique jusque là, et donc connaissait un écartement à 1435mm.

Les Soviétiques ont eu 50 ans pour modeler ce réseau à leur image et tout faire passer en 1520mm

Et du réseau polonais ou austro-hongrois, il ne reste que quelques sections de ligne

entre Lviv et la frontière polonaise

ou en Transcarpatie jusqu’à Moukachevo

en gros, l’Ukraine compte 350 kilomètres de voies à écartement européen, qui ont été délaissées, abandonnées, non-exploitées pendant des décennies.

Il y a aussi 400 kilomètres à écartement très étroit de 750mm, pour la petite histoire j’avais fait un reportage radio pour RFI sur une ligne dans le nord de l’Ukraine, une des dernières à écartement aussi étroit en Europe.

Je mets le lien dans la description de la vidéo mais c’est vraiment pour les passionnés.

Je reviens à l’écartement européen de 1435mm.

Dans la perspective de l’intégration européenne de l’Ukraine, les plans pour remettre ces lignes en l’état et d’en construire des nouvelles ont été échafaudés depuis des années

Mais c’est l’invasion par la Russie qui a accéléré leur réalisation.

La première partie de ce projet, c’est le tronçon de 22 kilomètres qui a été inauguré vendredi 5 septembre.

Il relie la capitale régionale de Transcarpatie à la ville frontière de Tchop et donc au réseau slovaque et hongrois.

C’est donc avec les deux pays qui sont les plus hostiles à l’Ukraine en ce moment que se réalise cette européanisation du réseau ferroviaire ukrainien, c’est assez ironique.

22 kilomètres, ce n’est pas beaucoup.

Mais c’est la première ligne à écartement européen qui est construite dans cette région depuis la seconde guerre mondiale.

c’est un tronçon qui a été livré en avance sur les délais de construction qui prévoyaient une mise en service à la fin 2025.

C’est un projet à 28 millions d’euros, qui a été rendu possible par un financement de l’Union européenne, notamment au titre de la Ukraine facility qui prévoit un soutien macro-financier sur le long-terme

et par un prêt de la Banque européenne d’investissement.

Depuis la destruction d’Azovstal à Marioupol, l’Ukraine a perdu son fournisseur principal de rails, et la France compense en partie cette perte

à partir de janvier 2025, la France a commencé à fournir 20000 tonnes de rails à l’Ukraine grâce à un prêt concessionnel de 37 millions d’euros

je n’ai pas réussi à savoir si ces rails ont été utilisés pour ce tronçon de 22 kilomètres à l’écartement européen

Grâce à ces 22 kilomètres, la compagnie ferroviaire ukrainienne Ukrzaliznista a lancé des nouveaux itinéraires, reliant Oujhorod à Kosice et Bratislava à travers la Slovaquie

et Budapest et Vienne à travers la Hongrie.

On parle là de voyages qui se font en direct, et c’est là tout l’intérêt.

Parce qu’actuellement, plusieurs connexions internationales existent: entre l’Ukraine et Budapest, Vienne, Varsovie.

Mais chacune nécessite soit un changement de train à la frontière, par exemple entre Varsovie et Lviv,

soit un long arrêt pour adapter les écartements des roues des wagons d’un système à un autre.

Là, grâce à ces connexions directes, la seule lourdeur qui demeure, ce sont les contrôles aux frontières.

22 kilomètres, c’est peu, mais ce n’est qu’un début.

Regardez sur cette carte, on parle de prolonger ce tronçon vers Lviv à travers les Carpates, afin que des trains circulent à écartement européen sur toute la distance.

on parle aussi de remettre en état une voie ferrée entre la Pologne et Lviv,

entre la Pologne et Kovel

Et le but ultime ce serait de construire une voie à écartement européenne jusqu’à Kyiv, Kharkiv et Dnipro.

c’est à dire de structurer une sorte de voie magistrale qui relie les principales agglomérations d’Ukraine à l’Union européenne.

Et vous le voyez sur cette carte, le même processus serait envisagé entre la Roumanie, la Moldavie et Odessa.

Evidemment on en est très loin, et les Ukrainiens, même s’ils ont livré ce chantier de 22 kilomètres en avance, ne sont pas des Chinois qui eux ont développé leur réseau à grande vitesse en très peu de temps.

Mais selon les déclarations officielles, la liaison Uzhgorod-Lviv pourrait être construite d’ici 2-3 ans, on verra ce que ça donnera.

Il y a évidemment une dimension civilisationnelle ici, celle d’un retour vers l’Europe.

et d’un éloignement du rousskiy mir, du monde russe. C’est la même logique dans les Etats baltes

qui présente des avantages certains en termes de fluidité des échanges et de la circulation des personnes.

Il n’empêche que cela pose des enjeux colossaux en termes d’électrification des lignes, d’aménagement des gares, d’acquisitions de nouvelles locomotives et wagons qui soient adaptés à cet écartement de 1435mm

et évidemment la gestion d’un système dual, entre ces lignes à écartement européen et les lignes à écartement russe/soviétique

l’Ukraine, c’est le troisième réseau ferroviaire d’Europe après l’Allemagne et la France

On parle d’environ 28000 kilomètres de voies ferrées avant le début de la guerre en 2014,

20000 kilomètres avant l’invasion russe de 2022 et la perte des territoires occupés.

Aujourd’hui il reste quand même plus de 15000 kilomètres de voies ferrées gérées par la compagnie nationale

qui opère plus de 3200 locomotives et 1500 wagons de transport de passagers.

Il est impossible de tout changer, et économiquement ça ne ferait aucun sens.

Même les Etats baltes qui n’ont pas des réseaux ferroviaires aussi denses n’ont pas modifié l’écartement de l’immense majorité de leurs voies ferrées, hormis le projet rail baltica qui on le sait pose énormément de problèmes

donc on n’arrivera sans doute pas à la réalisation de cette espèce d’idée folle de déconnexion complète du réseau ukrainien du réseau russe, pour empêcher les trains russes de circuler en Ukraine s’ils en venaient à conquérir plus de territoires.

Et si effectivement une voie à écartement européen se construit jusqu’à Kyiv, Kharkiv et Dnipro, il faudra vraiment que ce soit une ligne à grande vitesse pour qu’elle soit rentable,

sinon ça ne vaut juste pas le coup: les trains de nuit actuels font très très bien le job et vu que dans la plupart des cas les passages de frontière se font la nuit, on ne s’aperçoit pas du tout du long arrêt pour changer l’écartement des roues

ce sont surtout les contrôles de passeport et de douanes qui dérangent.

Donc la compagnie ferroviaire ukrainienne doit apprendre, petit à petit, à gérer un système dual, à aménager ses gares, ses systèmes de signalisation pour ce faire

et à former son personnel technique pour entretenir deux systèmes et deux flottes de locomotives différents.

A travers l’inauguration de ce tronçon de 22 kilomètres, ce n’est donc pas une refonte totale du réseau ferroviaire qui s’amorce, mais une européanisation, lente et partielle,

qui va arrimer d’autant plus l’Ukraine à l’Union européenne

c’est en cela que c’est une révolution, et que cela concrétise un retour vers l’Europe d’au moins ses régions occidentales.

L’enjeu ici, et là je parle en tant que passager, c’est qu’au jour de la réouverture des aéroports en Ukraine, à un moment donné, l’option ferroviaire reste tout aussi attractive pour voyager.

Voilà, je m’arrête là. Comme vous l”aurez compris, j’aime les trains et les voyages en train, alors merci de m’avoir accompagné tout au long de la vidéo

je file!

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