Myrnohrad encerclée. Pourquoi ne pas évacuer?

La bataille pour Pokrovsk dure depuis environ un an et demie,

en gros à partir de la percée russe à Otcheretiné qui a ensuite amené les troupes d’invasion aux portes de la ville.

Elle n’est toujours pas terminée aujourd’hui au sens actif du terme. Mais il ne s’agit plus de stratégie ou de tactique.

si la bataille continue, c’est à cause de l’entêtement du haut commandement ukrainien à repousser l’évacuation.

pour des bénéfices qui semblent tout à fait abstraits.

Alors parlons-en.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on constate, comme l’essentiel des observateurs en source ouverte aujourd’hui, l’encerclement de Myrnohrad

La ville de Pokrovsk est tombée depuis des semaines, les Ukrainiens n’assurent plus qu’une présence dans les faubourgs nord pour tenir un corridor terrestre

et rallier la place forte de Myrnhorad.

Ce corridor n’existe plus, en tout cas il n’est plus sécurisé.

et la 79e brigade aéroportée qui tient Myrnohrad est désormais ravitaillée principalement par drones, volant ou roulant, hormis des opérations extrêmement risquées de ravitaillement au sol.

le sort de Myrnohrad s’est plus ou moins scellé ces derniers jours

j’utilise une capture d’écran de la chaîne Youtube les conflits en carte

avec l’évacuation de l’espace sud de la ville, qui a longtemps été en zone grise mais qui a été volontairement évacué par les Ukrainiens ces derniers jours

une évacuation douloureuse, sous le feu ennemi, pas forcément toujours en coordination avec le haut commandement

mais une évacuation quand même.

donc la question qui se pose désormais c’est: quand l’évacuation sera-t-elle ordonnée pour Myrnhorad et pourquoi ça prend autant de temps?

on le voit sur la carte, on le sait par les rapports sur l’état des forces sur place, il n’y a aucun intérêt pour les Ukrainiens à rester sur place pour retarder une issue qui est certaine

et on ne comprend pas ce que cherche le haut commandement.

On sait que les affrontements sur place sont extrêmement brutaux, les deux camps accusent énormément de pertes humaines et matérielles

mais l’Ukraine a plus intérêt à se protéger car ses ressources sont plus limitées.

J’ai récemment lu ce long article de l’expert Franz-Stefan Gady du blog War on the rocks

où il revient précisément sur cette configuration: à quoi sert de tenir le siège d’une ville, quand et comment évacuer.

C’est en anglais, mais il n’empêche que c’est très instructif, je recommande.

l’article est intitulé quand la défense devient la destruction, et c’est très parlant.

Lui prend l’exemple de la ville de Przemysl, donc cette petite ville polonaise à l’extrême-sud-est du pays, qui est une des portes d’entrée de l’Ukraine, à environ 80 kilomètres de Lviv.

En octobre 1914, l’armée austro-hongroise a tenu la ville fortifiée pendant un certain temps contre l’armée russe

et c’était utile car cela a permis au reste de l’armée austro-hongroise de se regrouper, d’opérer une manoeuvre de contournement et d’infliger une lourde défaite aux Russes qui a défini les premiers mois de la guerre.

Mais entre novembre 1914 et mars 1915, il y a eu un second siège russe de la ville et il s’est passé complètement différemment.

L’armée austro-hongroise n’a pas réussi à se recomposer et à inverser la tendance, elle a plutôt mené une série de contre-offensives qui se sont soldées par des échecs,

la situation de Przemysl s’est dégradée et à la fin, c’est une garnison de 130.000 hommes qui a du se rendre aux Russes

on imagine ce que ça a voulu dire en termes d’organisation, de force de frappe et évidemment de morale.

Franz-Stefan Gady explique que ça a porté un tel coup au prestige de la monarchie austro-hongroise qu’elle ne s’en est jamais remise.

L’auteur extrapole et voit dans la guerre actuelle la reproduction des mêmes schémas.

Tenir Marioupol au printemps 2022, ça a donné du temps à l’armée ukrainienne de se recomposer, de se réorganiser, et de reconstituer un front.

On dit que Marioupol a sauvé Kiv d’une certaine manière.

Mais déjà Bakhmout c’était à la limite. Les Ukrainiens avaient un intérêt à prolonger le siège initialement car ils infligaient de très lourdes pertes aux Russes

mais ils ont loupé le moment d’une évacuation ordonnée et sécurisée juste après que les Russes ont approché leur artillerie trop près.

Avdiivka, pareil. Les Russes ont beaucoup souffert pour prendre la ville, War on the rocks estime à au moins 20.000 morts russes,

mais l’évacuation est venue trop tard pour les Ukrainiens et ils ont beaucoup perdu à faire un passage en force car ils ne contrôlaient plus le corridor d’évacuation.

Koursk, pareil. On peut aussi rajouter Vulhedar.

et là, à Pokrovsk, il semble que le haut commandement réagisse exactement pareil et prend le risque de condamner une brigade entière, la 79e aéroportée, à l’encerclement et à la reddition.

Et sans que le reste de l’organisme militaire ukrainien n’en retire un quelconque avantage;

Tenir Myrnohrad ne va pas permettre une contre-offensive ailleurs

ça ne va pas permettre d’infliger des pertes humaines ou matérielles aux russes qui les contraigne ensuite à réduire leurs efforts offensifs

ça ne va pas aider les négociateurs ukrainiens dans la séquence diplomatique actuelle

on voit que c’est toute la région qui est concernée, pas Pokrovsk et Myrnhorad.

et cette région, il faut avoir les forces pour la défendre.

Dans l’article, Franz-Stefan Gady rejoint beaucoup d’experts militaires que je suis ou à qui je peux parler:

il préconise, évidemment une évacuation hier ou avant-hier, mais surtout la mise en place d’une défense élastique

qui soit hyper flexible, hyper inventive, basée sur un réseau de positions défensives préparées à l’avance, équipées à l’avance, avec une reconnaissance du terrain à l’avance, grâce aux drones notamment,

avec une identification à l’avance des possibles routes de ravitaillement russes.

des positions qui peuvent être évacuées rapidement et facilement grâce à des décisions prises au niveau local et non pas par le haut commandement

le tout dans une logique d’économie de ressources et non plus de contrôle territorial à tout prix, comme ça a été le cas jusqu’ici.

D’ailleurs c’est intéressant, et j’en termine par là, le commandant en chef des forces armées, le très soviétique Oleksandr Syrskiy,

a tout juste fait une déclaration en ce sens, en disant que la priorité doit être donnée désormais à une mobilisation plus rationnelle, à un recrutement plus efficace et à des formations de meilleure qualité.

Oleksandr Syrskiy ne parle pas encore de privilégier le sort de ses soldats sur le contrôle territorial,

mais on voit qu’il y a une prise de conscience, quelque chose que l’on n’a pas entendu de sa part depuis 2022.

est-ce que c’est sincère et est-ce que ça va être suivi d’effets, c’est encore autre chose, car Oleksandr Syrskiy peut aussi dire cela à cause du contexte politique.

la démission d’Andriy Yermak à Kyiv a provoqué une grave crise de gouvernance. Son successeur n’est toujours pas annoncé mais il est clair qu’il va y avoir des changements de personnel dans un futur proche.

Et Oleksandr Syriskiy est tellement critiqué qu’il est peut-être sur la sellette

on voit par exemple ce post de Bohdan Krotevitch qui est l’ancien commandant de la brigade Azov

il y dit que le pays peut survivre sans un chef de cabinet présidentiel

mais que par contre sans un système de gouverment effiace et un haut commandement adéquat, l’Ukraine pourrait ne pas exister très longtemps

c’est un post volontairement alarmiste mais ça rcoupe ce que l’on entend depuis des mois:

il faut une réforme de l’armée et une refonte de la manière de penser cette guerre

ça dépasse le simple cas d’Oleksandr Syrskiy, ce que l’on demande c’est un changement de mentalité et de stratégie,

mais cela commence, de toute évidence, par une évacuation en temps et en heure de Myrnhorad et Pokrovsk.

Merci

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