Poutine maître des horloges

Cessez-le-feu le 12 mai, négociations le 15 mai…

Proposition européenne, contre-proposition russe, volatilité trumpienne

la séquence diplomatique est intense et il est difficile de tout démêler, et tout change très vite donc les infos sont vite périmées,

mais je veux enregistrer cette vidéo pour mettre en perspective trois grandes lignes de fond qui se dégagent de cette séquence:

d’une part, Donald Trump est complètement perdu, vraiment en désarroi après après vu les troupes chinoises sur la place Rouge ce 9 mai

d’autre part, les Européens se réveillent et c’est vraiment inédit. Mais ils n’ont pas encore mis les moyens pour assurer la sécurité sur leur propre continent et ils viennent d’être minorés, humiliés par Donald Trump

et ça, c’est une considération qui s’étend directement à Volodymyr Zelensky

et troisièmement, le maître des horloges en ce moment, c’est Vladimir Poutine, littéralement d’ailleurs puisque c’est lui qui décide du non-cessez-le-feu ce 12 mai mais de négociations ce 15 mai,

c’est vraiment lui qui a la main.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo pour décrypter ensemble cette séquence diplomatique potentiellement historique,

je dis potentiellement parce ça peut aussi se terminer en eau de boudin, et n’être qu’un détail dans une guerre de longue durée.

On est beaucoup de journalistes et d’experts à analyser dans les médias et en ligne ce qui se passe, donc merci de me suivre,

c’est toujours difficile de cadrer le sujet pour que ça soit pertinent et que ça ait une certaine validité dans le temps

là je voulais enregistrer une vidéo sur Pokrovsk et la manière dont les Ukrainiens ont réussi à consolider les défenses de la ville, sans empêcher les Russes de partir sur les flancs et de monter sur Kostyantinivka

on va voir si j’arrive à la publier demain

Mais aujourd’hui j’ai décidé de revenir sur cette séquence diplomatique actuelle, puisque ce weekend on a eu deux propositions

une des Européens avec quatre dirigeants qui s’étaient rendus à Kiev le 10 mai

puis une contre-proposition de Vladimir Poutine dans la nuit du 10 au 11 mai dans une conférence de presse bizarre, convoquée à 1h30 du matin

Les Européens, Volodymyr Zelensky et Donald Trump ont proposé un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours à partir du 12 mai

Vladimir Poutine a ignoré l’idée d’arrêter les combats et il a au contraire proposé la reprise de négociations directement avec les Ukrainiens à Istanbul le 15 mai.

Et là, Donald Trump qui avait soutenu la proposition d’un cessez-le-feu et ensuite d’un dialogue politique quelques heures avant, il soutenu l’idée des négociations à Istanbul

et quasiment intimé l’ordre à Volodymyr Zelensky de s’y rendre.

C’est la première ligne de fond: Donald Trump est complètement à la ramasse sur ce sujet, c’est non seulement un girouette mais il est aussi très frustré que sa reprise de relations diplomatiques avec la Russie ne mène nulle part

il voulait faire un reset, j’en ai déjà parlé, il veut sans doute faire ce qu’on appelle du Kissinger à l’envers, c’est à dire prendre la Russie de l’orbite chinoise comme Kissinger et Nixon avaient tenté de dissocier la Chine de l’URSS.

Et ce 9 mai il voit les Chinois défiler sur la place rouge et Vladimir Poutine et Xi Jinping copains comme cochons

Ce que son message montre, c’est que Donald Trump est frustré, mais qu’il ne perd pas espoir de retourner Vladimir Poutine.

Lui qui a une admiration folle pour la Russie depuis les années 1980, qui a été cultivé par les services, qui se voit comme un grand négociateur, l’homme des deals,

il ne peut pas accepter qu’il n’arrive pas à s’arrimer la Russie avec laquelle il partage beaucoup de points idéologiques.

Donc il neutralise la proposition des Européens, il les humilie après leur grand effort diplomatique,

et il se renie lui-même: j’ai compté: en 3 mois, il a menacé 4 fois Vladimir Poutine d’imposer des sanctions supplémentaires s’il n’y a pas de cessez-le-feu

Et 4 fois, Vladimir Poutine a refusé un cessez-le-feu inconditionnel, et Donald Trump n’a rien fait.

C’était le pari des Européens, j’en ai parlé dans ma dernière vidéo et c’est la seconde ligne de fond que je vois ici

c’est l’engagement de plus en plus marqué des Européens

Là ce qu’on a vu, c’est une Pologne qui émerge sur la scène stratégique européenne,

et on peut sans doute attendre un engagement encore plus fort après les élections présidentielles de dimanche 18 mai

On a assisté au réveil allemand avec l’arrivée d’un nouveau chancelier Friedrich Merz bien plus clair sur les questions géopolitiques et de défense qu’Olaf Scholz

On continue d’assister au retour de la Grande Bretagne après le Brexit

et la France confirme son rôle de grande puissance continentale

Ces quatre dirigeants à Kiev, de concert avec Volodymyr Zelensky, sont allés un cran plus loin que tout ce qu’ils avaient fait avant,

vous vous rappelez, ces réunions à Paris, Bruxelles, Londres et ailleurs pour monter une force de maintien de la paix, de réassurance, qui serait déployée pour faire respecter un cessez-le-feu négocié par les Américains

là, les Européens sont allés plus loin en formulant leur propre proposition politique avec une vision pour la paix, en tout cas pour une paix

c’est majeur, mais ce n’est pas suffisant,

les Européens ont été minorés par Donald Trump et leur proposition du 10 mai tombe à l’eau

donc peut-être que ça va leur servir de leçon, encore une fois, et qu’ils vont la prochaine fois se donner les moyens d’imposer leur vision, sans attendre le feu vert des Américains, on va voir.

En tout cas, et c’est la troisième ligne de fond, c’est Vladimir Poutine qui ressort vainqueur de cette séquence, c’est lui qui a la main

Il profite des dissensions entre Américains et Européens, entre ceux qu’on appelait Occidentaux il y a peu,

il profite du soutien chinois qui a été réaffirmé ce 9 mai,

il est lui aussi déçu du peu de résultats qu’il a obtenu de la reprise des relations avec Donald Trump, et il lui fait savoir en privilégiant des négociations bilatérales,

Il refuse un cessez-le-feu tout simplement en ignorant la proposition européenne

et il décide du lieu et de la date de négociations

Pourquoi Istanbul? D’abord parce la Turquie est une pièce fondamentale dans ce conflit et Recep Tayip Erdogan a dit et répété qu’il était prêt à accueillir des négociations

Alexander Loukachenko doit être vert que ça ne se fasse pas à Minsk, en parlant de ceux qui n’arrêtent pas d’être humiliés, lui il n’en a pas fini d’avaler des couleuvres

Mais aussi Istanbul parce qu’en mars-avril 2022, la Russie avait proposé un plan de règlement du conflit qui équivalait à une capitulation de l’Ukraine,

avec une réduction de l’armée ukrainienne et un contrôle politique russe sur Kiev

L’accord n’avait débouché sur rien pour une multitude de raisons, je sais que c’est populaire de dire que c’est Boris Johnson qui a fait pression sur Volodymyr Zelensky mais, sérieusement, Boris Johnson… c’est pas sérieux

en fait c’est une combinaison de réassurances occidentales, du fait que les Ukrainiens ont désenserclé Kiev à ce moment là et découvert l’étendue des massacres de Boutcha et donc de la volonté générale des Ukrainiens de ne pas capituler face à ce type de barbarie,

Donc Vladimir Poutine veut relancer ce format à Istanbul

sachant que la situation a changé, et l’Ukraine a repris une bonne partie des régions de Kharkiv et Kherson entre-temps tandis que la Russie a avancé dans le Donbass

donc le point de départ ne sera sans doute pas le même, l’Ukraine est dans une meilleure position aujourd’hui qu’en mars 2022.

Volodymyr Zelensky le prend au mot et annonce qu’il se rendra à Istanbul ce jeudi pour y attendre Vladimir Poutine

C’est audacieux, c’est une belle bravade, mais pour moi, c’est une erreur de comm’ qui a été justifiée par le post de Donald Trump qui a quasiment intimé l’ordre aux Ukrainiens de se rendre à Istanbul.

Pourquoi est-ce une erreur? parce que ça occulte totalement la question du cessez-le-feu qui devait arriver avant les négociations

et puis aussi il est clair que Vladimir Poutine ne va pas se rendre à Istanbul

d’abord parce qu’il ne considère pas Volodymyr Zelensky comme légitime et là il a une occasion de le rappeler

et aussi parce que les chefs d’Etat et de gouvernement n’interviennent pas en début de négociations, ils ne se rencontrent que dans des phases finales, pour démêler des grandes questions et procéder à des signatures.

Donc Volodymyr Zelensky risque de se retrouver tout seul à Istanbul et autant on comprend le geste, et ça montre qu’il veut vraiment négocier,

mais ça ne va pas bien passer en termes de communication.

Alors que Vladimir Poutine, il est dans son bunker du Kremlin, droit dans ses bottes, il est sûr du soutien de la Chine

parce que la Chine est très sûre de l’ascendant qu’elle a sur la Russie mais ça c’est une autre question

Face au chaos trumpien, Vladimir Poutine, il est le maître des horloges, il peut se permettre de jouer la montre et continuer de jouer pour l’histoire

et même si on arrive à un cessez-le-feu dans les semaines qui viennent, les fondamentaux de son projet n’ont pas changé, et il pourra repartir à l’assaut dans quelques années

ou attendre que l’alliance entre Américains et européens se délite encore plus, attendre 2027 qu’une élection en France retire le pays de l’échiquier de l’autonomie stratégique européenne…

Je suis persuadé que Vladimir Poutine ne sera pas à Istanbul ce jeudi, et si j’avais un conseil à donner à Volodymyr Zelensky,

c’est de ne pas s’y rendre pour ne pas se retrouver à négocier avec sous-fifres du Kremlin, des fonctionnaires de troisième ou quatrième catégorie…

Mais bon, on va voir, comme j’ai dit, la situation est très volatile

Merci

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